Transmission d'alambics
Après avoir distillé pendant 70 ans, Julien Froment a cédé son activité, et ses alambics, à Florent Velluet, en Côte-d'Or. Pour que la magie de ce métier qui réclame rigueur et vigilance se perpétue…

Évoquer la distillerie et les alambics, c'est explorer un monde aux consonances presque magiques, proche de l'alchimie et du mystère qui l'accompagne. On emploie ici un vocabulaire improbable, sorte de langage d'initiés, stimulant pour l'imagination : « feu-nu », « brandevinier », « passe directe », « double passe », « petite eau flegme ». Des expressions qui se marient avec les vertus de la patience et de la minutie. Bref : une mine d'or pour un journaliste ! Si nous en parlons aujourd'hui c'est pour décrire un passage de relais entre deux hommes, deux générations. À ma droite, Julien Froment, 86 ans. À ma gauche, Florent Velluet, 42 ans. Le premier vient de céder son activité et son matériel de brandevinier au second. Comprenez son activité de distillateur, car le brandevinier est celui qui produit du brandevin, mot dérivé de l'Allemand « Branntwein » signifiant littéralement « vin brûlé ». Ne croyez pas que cette cession s'est faite sur un claquement de doigts : les deux hommes ont construit progressivement leur lien.
Fruits, marcs et lies
En 2021, Florent Velluet s'est rapproché de Julien Froment qui cherchait à passer la main au terme de près de 70 ans d'activité. Il a d'abord loué les alambics et le bâtiment de Julien à Boussey, près de Vitteaux, en Côte-d'Or avant de racheter tout l'équipement en 2024 et de rapatrier l'ensemble dans un local spécialement construit à Sombernon. C'est là qu'on trouve aujourd'hui son atelier public de distillerie, sur la zone artisanale de La Chaumonne, où sont accueillis les bouilleurs de cru, qui sont ses clients. C'est là également que se trouvent les locaux de l'entreprise de travaux agricoles de Florent Velluet. Il a obtenu son agrément pour être distillateur et est en partenariat avec des vignerons (Domaine de l'Arlot à Premeaux-Prissey et Modot-Guyon à Chambolle-Musigny) : ces derniers lui livrent leur marc et leur lie qu'il se charge de distiller et de commercialiser. Florent Velluet a aussi parmi ses clients des particuliers détenteurs de vergers. À partir de ce printemps, il compte commercialiser sa propre eau-de-vie à laquelle il ajoutera quelques petites recettes personnelles qui sont encore secrètes mais que les amateurs pourront découvrir très bientôt. Ce travail de brandevinier est pour lui une activité supplémentaire et saisonnière. Il a néanmoins la volonté de la développer pour augmenter sa période de travail dans ce domaine d'un ou deux mois. La distillerie réclame en effet des pas de temps très variables et aléatoires d'une année à l'autre : « on peut passer de trois semaines à trois mois ! » souligne Julien Froment, en fonction des quantités de fruits récoltés et du nombre de clients. Il sait de quoi il parle : il a commencé à faire de la goutte à 15 ans, dans les années cinquante, de manière itinérante, avec son père qui s'était équipé d'une roulotte comportant trois alambics.
Un alambic de 1935
« Au début, j'étais simple marmiton » précise-t-il. Il s'est mis à son compte en 1961. Au milieu des années quatre-vingt-dix, il a décidé d'arrêter l'itinérance et s'est installé à Boussey. Le matériel racheté par Florent est le témoin de ce long savoir-faire acquis : parmi les alambics aujourd'hui réunis à Sombernon, le doyen a 90 ans et porte encore fièrement ses cuivres. Il a été construit à Beaune par l'entreprise Bouillet Frères. C'est le père de Julien qui en avait passé commande en 1935. « De 1935 à 1995, on a distillé dans le secteur de Vitteaux, et même pendant la guerre. Les Allemands réquisitionnaient les alambics qui ne servaient pas afin de récupérer le cuivre, mais laissaient ceux qui travaillaient. » Julien Froment avait aussi un associé en la personne de Jacky Leniept avec lequel il a travaillé pendant une quinzaine d'années. « Dans ce métier, on n'a jamais fini d'apprendre, confirme-t-il. Au cours de ma carrière, j'ai supprimé certaines techniques, j'en ai adopté d'autres que l'on considérait comme meilleures avec mon associé. La distillerie, c'est de la « cuisine ». Il faut être propre dans son boulot et surtout, patient. Si vous courez après l'argent et cherchez à produire un maximum de litres vous ne serez jamais un bon brandevinier… Moi, je tirais à 8 litres à l’heure. On pourrait aller beaucoup plus vite, mais la qualité va s'en ressentir… »
Deux techniques
Florent Velluet sait aussi ce qu'il doit à Julien Froment et Jacky Leniept en matière de transmission de savoir-faire : « je ne les remercierai jamais assez des conseils qu'ils m'ont apportés et qu'ils m'apportent encore, parce que les fruits ne sont jamais les mêmes et il faut adapter sa technique à chaque fois ». Poires, pommes, prunes mirabelles… Tout ce qu'un client veut faire fermenter et distiller, Florent peut s'en charger pour produire de l'eau-de-vie, ou des marcs et dérivés avec la matière récupérée auprès des vignerons. Il souhaite avant tout travailler à partir de fruits locaux et ses fournisseurs viennent du Châtillonnais, de la plaine dijonnaise, du Morvan, de Saône-et-Loire. Il a par ailleurs planté un verger conservatoire il y a plus de dix ans et il taille des arbres fruitiers dans le cadre de son entreprise de travaux agricoles. La commercialisation des eaux-de-vie ou marcs qu'il produira pour lui-même se fera par le biais de cavistes. À Sombernon, quatre alambics sont au travail. Un dit « à feu nu » où la flamme chauffe directement le fond de l'alambic. Un autre à « bain-marie » où le chauffage est assuré par de l'eau entourant la cuve. Les deux techniques sont très bonnes mais le « feu nu » réclame plus de vigilance, selon Florent Velluet, pour éviter de brûler le produit. Julien Froment prévient : « une eau-de-vie qui a le goût de brûlé sera im-bu-vable ! »
Il existe deux types de distillation :
- à passe directe avec une lentille, sorte de couvercle supplémentaire, qui recondense, ce qui donne une eau-de-vie directement à 50 °
- à deux passes : le fruit est placé dans le « feu nu » ou le « bain-marie » où il est conduit à ébullition. Il sort de cette première cuisson une « petite eau flegme » (à 35 °) qui est repassée dans deux petits alambics pour donner le produit fini. Selon Julien Froment : « la repasse et le feu nu, c'est le fin du fin en matière de distillation ». Le jour de notre rencontre, un petit filet d'eau-de-vie s'écoulait de l'alambic, titrant 64°. Elle sera coupée avec de l'eau minérale pour la ramener au titrage désiré par le client.
La distillerie est ouverte à tout public. On peut venir visiter, à condition d'appeler auparavant. Florent Velluet sera tout disposé à expliquer son travail.
Note : La distillerie se trouve zone artisanale de La Chaumonne, à Sombernon. Tel : 06 17 81 25 29 et mail : sasvelluet@gmail.com
Transmission d'alambics
Préparation et stockage : la recette pour une bonne eau-de-vie
Comme le rappelle Julien Froment, la préparation et le stockage sont deux éléments sur lesquels l'amateur d'eau-de-vie doit faire porter son attention. La fabrication comporte trois phases : la préparation des fruits par le client, la distillation, et le vieillissement. Julien Froment a passé sa vie à sensibiliser ses clients à la nécessité de bien préparer les fruits, de les placer dans un tonneau de bonne qualité. Pareil pour le stockage de l'eau-de-vie : « si c'est pour la laisser dans un cubi en plastique au fond de sa cave, dit-il, c'est même pas la peine qu'il l'emmène ! L'eau-de-vie doit être mise dans une bonbonne en verre, au grenier et non pas à la cave. Il faut laisser la bonbonne ouverte mais recouverte d'un tissu pour empêcher les souris d'y aller – ça arrive ! - C'est le contraire du vin, en fait. Si la goutte subit des chocs thermiques, elle n'en sera que mieux ! ».
Évolution fiscale
On le sait peu mais, il y a un an, le petit monde de la distillerie a connu une véritable révolution. Au 1er janvier 2024 le Gouvernement a aboli les taxes pour faire de la goutte. Auparavant, on avait droit à 20 litres d'eau-de-vie à 50 ° exonéré de taxes en accord avec un privilège instauré par Napoléon pour remercier ses grognards. Ces privilèges avaient été supprimés au début des années cinquante mais les syndicats de l'époque avaient obtenu que les bouilleurs de cru bénéficient d'une taxe à moitié prix. Jusqu'à 2024, pour un propriétaire de fruits, il lui en coûtait 4 ou 5 euros de façon et autant de taxes.