Retour sur une décennie de réflexions sur l'évolution de la vigne
Le 18 juillet, le Vinipôle Sud Bourgogne fêtait ses dix ans à Davayé, près de Mâcon. L’occasion de passer en revue quelques-unes des 120 expérimentations menées et de retracer les grandes orientations et priorités de la viticulture bourguignonne. Avant un nouveau cap.

Le Vinipôle Sud Bourgogne, qui vient de célébrer ses dix ans en Saône-et-Loire, repose sur une genèse plus ancienne. En 1962 les premières expérimentations viticoles de la Chambre d’agriculture sont menées à Lugny, renforcées en 1967 par un service dédié et en 1999, par un pôle technique. Les choses se compliquaient toutefois en 2010, avec l’annonce de la fermeture de l’antenne de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) à Davayé. Un mal pour un bien puisque cela a forcé les acteurs de la filière à discuter d’un nouveau projet, élargi au Beaujolais voisin. Le 28 septembre 2012 naissait l’association Vinipôle Sud Bourgogne autour de trois membres fondateurs : la Chambre d’agriculture, le Conseil départemental de Saône-et-Loire et le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). On retrouvait aussi le Centre œnologique de Bourgogne (COEB), le laboratoire d’analyse départemental (aujourd’hui Agrivalys) et le lycée de Davayé (aujourd’hui AgroBioCampus). L’œnologue Patrice Joseph intégrait alors le Vinipôle car l’objectif premier était, en Bourgogne, « d’être la référence mondiale des grands vins issus de la viticulture durable ». Un but toujours d’actualité avec, notamment, l’Objectif Climat, visant la neutralité carbone en 2035. Cela passait donc par des expérimentations au vignoble mais aussi au chai, avec une « œnologie durable », y compris en Agriculture biologique (AB). Pour le président fondateur, Robert Martin, « on a essayé d’être visionnaire, même s’il reste du chemin à faire ». L’inauguration des locaux le 3 avril 2013 vient sceller ces ambitions partagées. Le directeur du service actuel, Benjamin Alban, a retracé, à l’occasion de l’anniversaire, le 18 juillet, dix ans de travaux, d’essais, d’expérimentations, de partage aux vignerons, de conférences… Il est intéressant de revenir sur les thématiques abordées par ces dernières.
Le souci constant des alternatives au phyto
La première conférence sur la durabilité des systèmes a abouti à un outil d’évaluation multicritères, sur des modèles robustes pour anticiper la pression oïdium, à des capteurs sur drones, notamment pour détecter la flavescence dorée ou d’autres formes de lutte, comme l’évolution du stade larvaire de la cicadelle dorée, le vecteur du phytoplasme, et l’effet du pyrèthre. Des conclusions encore présentées fin juin au ministre de l’Agriculture, lors de sa venue à Ferm’Innov à Jalogny, le pendant du Vinipôle pour la filière élevage. À chaque fois, Benjamin Alban mentionnait aussi un projet œnologique, comme l’influence de la température de vinification sur la biodiversité levurienne. En 2014, le Vinipôle voit monter en charge les essais sur les alternatives aux phytos, tels que les huiles essentielles ou des produits « naturels ». En parallèle, la réduction des doses de soufre en AB avec des biostimulants est mise à l’épreuve. En œnologie, c’est la fermentation à basse température en chardonnay et gamay, avec, là aussi, des stratégies à bas intrants. La deuxième conférence porte sur les questions de biodiversité. Le Vinipôle est également un lieu de rencontres et de partages. L’IUT du Creusot (LL2i) a apporté ses compétences en imagerie pour réduire la dérive des phytos en repérant en temps réel et en traitant uniquement lorsqu’il y a un pied de vigne. La Bourgogne a été longtemps marquée par le millésime 2003. La prise de conscience du changement climatique en cours est actée en 2016. Les techniciens s’acculturent aux travaux du Giec pour en parler aux professionnels, avec des questions sur les rendements, l’équilibre acidité/sucrosité jouant sur les caractéristiques organoleptiques. Il en a découlé un logiciel pour calculer le bilan carbone de son chai, avec la possibilité de faire des simulations selon les températures. La conférence a marqué les esprits avec un titre choc : « S’adapter ou disparaître ? ». Il était notamment question d’un risque accru de gelée printanière avec des débourrements précoces. Le gel 2021 en fut la triste illustration.
Robot, cheval Comtois, ou les deux ?
En 2017, des essais prometteurs sur les biocontrôles en vogue s’avèrent finalement décevants pour réduire les intrants. En 2023, il y eut des tests avec des médiateurs, des micro ou macro-organismes, des stimulateurs de défense naturels… les techniciens cherchent toujours à remplacer – sans succès équivalent – la chimie. En œnologie, la demande croissante de vins sans sulfite pousse à étudier la maîtrise de l’acidité volatile. La révolution numérique devient un thème majeur et cela se traduit par la question : et si l’avenir était aux robots ? Une question qui reste posée, alors que dehors, des robots à l’œuvre faisaient face à une démonstration de travail du sol à l’aide de chevaux Comtois. En 2018, le Vinipôle se transforme peu à peu en « tiers lieu », offrant une possibilité aux start-up ou ingénieurs d’entrer en contact avec des vignerons et inversement. Une carte aussi pour attirer de nouveaux profils dans la filière. Côté œnologie, une méthode est trouvée pour déterminer - 45 jours avant - la date des vendanges, et organiser ses vendanges « pour faire un type de vin précis (tendus, de garde…) ». 2018 voit l’émergence de tensions naissantes avec les riverains et la société dans les médias, malgré la Charte des bonnes pratiques. La conférence s’évertue à rappeler le « bien vivre ensemble ».
L’arrivée du Vitilab
En 2019, une nouvelle équipe arrive à la tête de la Chambre d’agriculture. Céline Poulin, viticultrice coopératrice à Azé, devient présidente de l’association Vinipôle. Peu de temps après, les élections au Département et au BIVB amènent d’autres nouveaux élus. L’économie viticole « pour imaginer demain » est scrutée, des coûts de production à la vigne jusqu’aux outils de transmission, en passant par le foncier et les attentes des futures générations de consommateurs. En 2020, malgré l’arrivée du Covid, les essais se poursuivent « grâce à des techniciens impliqués ». Un Outil d’aide à la décision (OAD) pour les récoltes, la recherche sur un réseau de station météo… forment « les premières esquisses de Vitilab ». En 2021, le gel n’épargne pas le département. L’occasion de revenir sur les moyens de lutte préventifs ou les outils actifs (thermonébulisateur, tours éoliennes…). Le 19 juillet 2021, le Vitilab est inauguré, visant à élargir le réseau de partenaires dans l’enseignement et la recherche (AgroSupDijon, Isara…), à faire émerger des solutions numériques avec des industriels (Orange…). L’IFV fait également son retour pour envisager la viticulture de plus en plus au carrefour du changement climatique, des besoins nouveaux en matériel végétal, du numérique, de la robotique, de la viticulture de précision ou de l’agroécologie.
Partenaire de VinEquip
Des leviers d’adaptation sont recherchés, avec le souci constant de transférer les résultats aux vignerons, tâche compliquée tant ils sont nombreux et parfois complexes à vulgariser. Pour se faire, en 2022, le Vinipôle intègre l’organisation du salon VinEquip de Mâcon dès sa première édition. En 2023, la sollicitation est double avec la partie conférences et l’espace recrutement de salariés, d’étudiants, de futurs vignerons… Les capteurs (IOT, sondes capacitives, Lora…) ou l’impression en 3D donnent des idées et renforcent l’attractivité des métiers de la vigne. Vitilab rejoint le réseau des Digifermes. Le projet d’agroforesterie Vitaf aboutit à un premier guide pratique pour analyser les effets des arbres et haies sur et dans les vignes. Les travaux s’accélèrent côté matériel végétal avec le projet GreffBourgogne et la plateforme permettant de comparer douze porte-greffes. Ils sont notamment évalués sur leur adaptabilité au stress hydrique. Dix ans, donc, d’une intense activité et de défis relevés. Le tout basé sur un modèle de financement sain reposant sur les prestations de traitements à l’eau chaude des plants (39 millions soit 4 800 ha depuis 2005) et l’organisation du concours général des vins pour le Salon de l’Agriculture à Paris.