Le sens de l'avis
Hervé Obrecht vit en Côte-d’Or mais dirige une petite entreprise de mécanique près de Besançon. Début 2022, il a publié Un an de l’avis d’un Français. Un recueil de billets d’humeur entamé au déclenchement de la crise sanitaire où pointe la colère, la drôlerie, la contradiction, une bonne part d’autodérision aussi… Un regard dans lequel on se reconnaît souvent, même si on ne partage pas tous les points de vue. Un regard de Français…

« J’espère qu’Yves est fier de moi ». Cette phrase termine le livre Un an de l’avis d’un français, publié au début de l’année et dont Hervé Obrecht est l’auteur. Le Yves en question, Hervé Obrecht l’a eu comme professeur de français. Il n’a jamais oublié l’attention qu’il portait aux élèves et ce n’était pas rien, dans le lycée professionnel où il se trouvait alors. Cette pensée exprimée envers un ancien professeur résume l’esprit de son ouvrage : livrer un ressenti sur une époque et savoir que ce ressenti ne vient pas de nulle part, mais découle d’un parcours de vie, où les rencontres furent importantes. Yves en a fait partie, et qu’il puisse être fier d’un ancien gosse un peu rebelle tel que le fut Hervé Obrecht, justifie le travail d’écriture accompli. Un an de l’avis d’un Français rassemble des billets d’humeur écrits entre mars 2020 et mars 2021. Douze mois au cours desquels la France et le monde se sont retrouvés plongés dans un contexte inédit, qui a révélé le meilleur comme le pire de la nature humaine. Ça tombait bien : Hervé ne se lasse pas de l’observer cette nature, là aussi, pour le meilleur comme pour le pire. Avec la crise sanitaire, il est tombé sur une mine d’or !
Une envie ancienne
Pourtant, penser que le confinement serait l’unique élément déclencheur à l’écriture de ce livre est un peu réducteur. D’abord parce qu’Hervé Obrecht ne s’est pas retrouvé cloîtré chez lui, à ne plus savoir quoi faire. Dès le départ, et en accord avec les huit salariés de L’Atelier mécanique, entreprise de mécanique générale qu’il dirige et qui est située à Dannemarie-sur-Crête, près de Besançon, dans le Doubs, il a décidé de poursuivre son activité professionnelle. Écrire un livre, il y pensait depuis des années. La crise sanitaire a été l’étincelle nécessaire au déploiement d’une réflexion autre. Il faut dire que dans le sillage du Covid, est apparue une nouvelle « science », relayée par les médias de masse : la « toutologie », ou l’art de dire tout et son contraire, de manière péremptoire si possible, parfois jusqu’à l’hystérie… « L’ambiance du début de confinement, se souvient-il était pesante, un peu apocalyptique, alors qu’on était au printemps et qu’il faisait très beau… Un soir je rentre à la maison et je dis à mon épouse que j’ai envie d’écrire. Elle m’a dit « Ben vas-y ! » Il me fallait ce déclencheur-là… » Son épouse fut la première lectrice d’un auteur qui a démarré en douceur, comme le baigneur qui se mouille la nuque avant d’entrer dans une eau inconnue… mais rapidement, l’envie de plonger, de nager et de faire des vagues a pris le dessus. C’est sûr : Hervé Obrecht ne se jetait pas à l’eau pour rester gentiment dans son couloir de piscine ! De chronique en chronique, il s’installe face à cette France qui râle parce qu’on ne lui fournit pas de masque, puis parce qu’on l’oblige à en porter. Qui se plaint en perdant de vue la chance d’être né dans un pays où la couleur de la carte pour se faire soigner est verte et pas bleue. La France est bonne fille et protectrice, en partie parce que des petits patrons comme Hervé se rappellent d’où ils viennent et savent ce qu’ils doivent à ce pays.
Des rencontres « nourrissantes »
Ce Belfortain de naissance a débuté dans le groupe PSA. À l’issue de son service militaire, il ne trouve pas de travail dans sa région natale, alors il décroche son téléphone et tente sa chance à Besançon et Dijon. C’est dans cette dernière ville qu’il commence à travailler pour un sous-traitant de l’industrie automobile, TRW, puis il passe chez Peugeot à Chevigny-Saint-Sauveur, qui devient Koyo puis JTEKT. Il part chez Parvex, devenu ensuite Parker, à Longvic, puis dans le secteur de la chimie. Chacun des secteurs industriels où les opportunités professionnelles l’ont mené a été pour lui une source d’enrichissement sur un plan personnel. « Les rencontres, les gens qui vous font confiance, c’est très important dans un parcours professionnel » souligne-t-il. Son rapport à l’écriture n’était, lui aussi, pas nouveau : Dans les années 90, il fait partie d’un groupe de hard-rock baptisé Adrénaline pour lequel il écrit des textes. « J’ai toujours été très attentif aux textes des chansons qui ont bercé mon enfance (Johnny Halliday-Eddy Mitchell-Michel Sardou) ». Ce qui le fascine, c’est la capacité de ces artistes à construire des personnages à travers les textes qu’ils écrivent ou qu’ils interprètent. Ils deviennent magnifiques, héroïques, charmeurs ou détestables. Hervé confie s’être beaucoup amusé à se fondre dans des personnages à travers les chansons qu’il écrivait. « J’ai fait faire des choses affreuses à certains personnages dans mes chansons, se rappelle-t-il, mais ça me faisait rire ! » Aujourd’hui, dans Un an de l’avis d’un Français, il râle, rigole souvent, n’oublie pas de prendre un peu de recul, même par rapport à ses indignations. Dans le grand bain de la France covidée, il n’est pas du genre à faire la planche, et n’hésite pas à éclabousser, sans prétendre détenir la vérité. « Je suis plutôt quelqu’un de réservé, souligne-t-il, et au début de mon travail d’écriture, cette réserve persistait, jusqu’à ce que le gamin un peu rebelle que j’ai toujours au fond de moi me secoue un peu ». Le livre reflète cette évolution et le fait que, progressivement, notre homme s’est lâché. « Ce travail d’écriture m’a fait cheminer, je m’emparais d’un sujet d’actualité, je me nourrissais aussi des retours des premiers lecteurs. Beaucoup se retrouvaient dans ce que j’écrivais, d’autres trouvaient ça très sombre, d’autres encore débattaient et m’ont parfois fait changer d’avis… provoquer le débat, et pas à la manière des réseaux sociaux, fut quelque chose de très intéressant pour moi. Il m’arrive dans certains des billets que j’ai publié, d’être très énervé, mais c’est parce que j’aime mon pays et que j’ai l’impression qu’on le malmène ».
Ne supprimez pas l’Histoire !
Parfois, dans ces avis, transparaît l’impression de faire partie de cette France qu’on n’écoute pas, à laquelle on ne porte pas attention, cette classe moyenne qui semble de plus en plus introuvable, discrète, trop discrète, qui ne casse pas dans les rues, manifeste peu. Pour autant, Hervé Obrecht prend soin de ne pas tomber dans la facilité du « Tous pourris ». Avoir la dent dure, souvent de manière drôle, n’empêche pas d’avoir le sens de la nuance : « Je n’oublie jamais que décider pour 67 millions de personnes, c’est juste infaisable. Du début à la fin de mon livre, je me pose des questions, j’écris souvent que je n’ai pas la solution, mais je suis aussi dans la « vraie vie », le concret du quotidien et je pense que certains de mes avis pourraient quand même apporter des réponses… » Et tout ça sur la frontière ténue qui existe entre l’humour et le cynisme dans lequel il prend garde de ne pas tomber. Hervé Obrecht n’a pas le sentiment d’avoir épuisé sa plume. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et les questionnements que cet événement a générés chez sa fille de 13 ans lui ont inspiré un billet teinté d’une certaine tristesse sur la nature humaine. Il lui a aussi rappelé combien connaître l’Histoire est important et quelle colère il ressent en constatant que l’on évacue de plus en plus cette matière des cursus professionnels, comme si les adolescents qui y font leurs études ne méritaient pas de savoir. Une forme de mépris qui résonne en lui : « Si je devais refaire ma vie, conclut-il, je serais historien… »
Note de bas de page : Un an de l’avis d’un Français, Vérone éditions, 311 pages, 22 euros.