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La santé mentale des agriculteurs mise à rude épreuve

Insécurité économique, changement climatique, endettement… Les facteurs de stress, d’anxiété et de dépression qui touchent le monde agricole peuvent être nombreux. Plusieurs associations locales et des professionnels de santé se mobilisent au quotidien, afin de proposer un accompagnement et de libérer la parole autour d’un sujet jugé trop souvent tabou.

Par Léa Rochon, Isabelle Brenguier et A.
La santé mentale des agriculteurs mise à rude épreuve
Un plan de prévention mal-être en agriculture va se déployer pour détecter et accompagner les agriculteurs et salariés agricoles en difficulté. (Crédit ©Fotolia).

Les agriculteurs seraient plus exposés à l’augmentation des problèmes de santé mentale que le reste de la population. C’est ce que révèle un rapport publié le 31 mars dans le cadre du projet FARMRes, cofinancé par l’Union européenne et porté par le Conseil européen des jeunes agri­culteurs (Ceja). Selon les statistiques, trois agriculteurs européens sur quatre admettent avoir souffert de problème de santé mentale au cours des trois dernières années. Les symptômes de dépression ou d’irritabilité ont aug­menté au cours de la même période. Les catégories d’agriculteurs les plus touchées sont les jeunes, les femmes et les petits exploitants.

Être confrontée à la machine administrative

Jeune éleveuse et propriétaire d’une pe­tite exploitation, Marion Brandon coche toutes les cases. « Le top 3 des difficultés en ce moment », ironise-t-elle. Derrière ce trait d’humour et cette voix pleine d’entrain, se cache pourtant le parcours bien compliqué d’une jeune installée qui ne demande qu’à vivre de son travail depuis 2018. « J’ai juste besoin que l’on me verse mes droits », continue-t-elle. Éleveuse de chèvres depuis 2018 dans le Rhône (Gaec La ferme des p’tis bi­lounes) et également maman, la jeune femme s’est vu retirer les versements du RSA à la suite d’une erreur admi­nistrative. « Lors de ma déclaration de grossesse, j’ai coché la case « en couple », alors que je n’habitais pas avec mon compagnon à ce moment-là, puisque lui-même a sa ferme. L’administration a alors considéré que nous vivions ensemble et que je fraudais ». Depuis Noël, la jeune femme pioche dans les recettes de sa ferme pour assurer les besoins du foyer. « C’est le début de l’engrenage. Les comptes de la ferme sont bloqués, les dettes sont importantes et c’était l’an­née où la ferme devait bien tourner. Il va me falloir un an ou deux pour boucher le trou. Je ne couvre pas mes charges ». Ni les factures de l’exploitation. Vendre sa ferme ? L’éleveuse y a évidemment pensé. « Mais cela ne paierait pas les emprunts. Et puis je me suis battue pour m’installer. L’habitation, la chèvrerie, la salle de transformation… J’ai tout construit moi-même. Je me suis dit que je ne pou­vais pas abandonner mon projet comme ça ! ». Pour passer cette épreuve, Marion Brandon a trouvé une oreille attentive et de nombreux conseils auprès de l’association Solidarité Paysans 01-69. « Il ne faut vraiment pas hésiter à de­mander de l’aide quand on en a besoin », confie la jeune femme, qui espère que l’administration réexaminera rapide­ment son dossier.

S’entourer pour mieux affronter

Jean-Luc Merle, viticulteur dans le Beaujolais, a également fait appel à Solidarité Paysans 01-69, il y a huit ans. Mais les soubresauts économiques qu’il a connus remontent à bien plus longtemps. « J’étais coopérateur au sein d’une union de coopératives. Au dé­but des années 1990, quand le Beaujolais a commencé à patiner pour vendre son vin, nous avons dû déposer le bilan ». Premier choc pour celui qui a été dans l’obligation d’emprunter 100 000 francs (15 244 euros) pour payer ses vendan­geurs. Quelques années plus tard, la Cuma qu’il avait créée avec ses voisins a été dissoute. « Trois de mes collègues sont partis à la retraite, je pensais pouvoir garder le matériel avec le cinquième mais qui a mis fin à ses jours ». Second choc. En 2010, en pleine restructuration de son exploitation, ses ventes en coopéra­tive ont été réduites à peau de chagrin : 46 € de l’hecto. Autant de problèmes économiques qui ont effrayé sa femme. « Nous avions acheté la maison, monté un gîte qui fonctionnait bien. Mais en 2012, elle a claqué la porte, elle se sentait en insécurité financière ». C’est en 2015 que Jean-Luc Merle a sauté le pas et contac­té l’association qu’il considère « comme une famille ». « N’attendez pas. Plus on attend et plus c’est difficile », conclut-il avec une palpable émotion.

Savoir arrêter à temps

Ce n’est pas parce qu’ils se sont enga­gés de tout leur cœur dans ce métier passion que les exploitants agricoles ne peuvent cesser d’exercer cette activité et en choisir une autre. Frédéric James et son épouse Élodie étaient installés en Gaec depuis 2017 en Isère. Tous deux avaient une ferme pédagogique bio, au sein de laquelle ils élevaient des bre­bis et produisaient des petits fruits. La suppression des aides au maintien de l’agriculture biologique, la perte de leur logement, la crise sanitaire qui a mis un terme aux visites des écoles, puis des attaques du loup et enfin, le propriétaire des parcelles qu’ils exploitaient qui a souhaité les reprendre pour son fils, furent autant d’éléments qui ont ren­du leur conduite d’exploitation difficile. Impossible même. « Un jour, ma femme m’a dit, “on arrête”. Mais on n’arrête pas comme ça, du jour au lendemain, un élevage de 200 brebis ! C’est pourtant la décision que nous avons prise. Progressi­vement », explique ainsi Frédéric James. Un négociant en bestiaux les a aidés à faire partir les bêtes. Frédéric James est allé travailler dans un laboratoire de découpe et son épouse a transpor­té ses serres sur des terres familiales. La décision fut difficile à prendre, ils le reconnaissent. « Le plus dur était de ne plus rien entendre dans la bergerie. Et puis le sentiment d’échec que nous avons eu. Mais je pense que nous avons pris la bonne décision. Au bon moment. Si nous avions continué, nous aurions travaillé pour payer nos dettes, alors qu’aujourd’hui, nous travaillons pour gagner notre vie », raconte l’ancien éleveur, qui travaille dorénavant six mois de l’année chez un agriculteur isérois et le reste du temps avec sa femme à s’occuper des fraises. Également parent d’enfants en bas âge, le couple pense que leur décision a été facilitée par le fait qu’étant hors cadres familiaux, ils n’ont pas subi de pression de leur entourage. Ils consi­dèrent aussi avoir été bien entourés et accompagnés par leurs proches, par l’association iséroise Écout’Agri et par le Crédit Agricole.

Marion Brandon est accompagnée par l’association Solidarité Paysans 01-69 pour l’aider dans ses démarches. (Crédit La ferme des p’tis bilounes)