La femme est l’avenir du vin
Longtemps considéré comme masculin, le monde du vin évolue. Du vignoble au chai et à la dégustation, la filière se féminise – et c’est une chance pour ce secteur agricole en difficulté.

Il y eut les veuves du vin, célèbres en Champagne à l’époque où une femme ne pouvait créer son entreprise, juste reprendre celle du défunt mari. Dans son livre Si tu veux la paix, prépare le vin (éd. Grasset), Laure Gasparotto rend hommage à la Bourgogne et témoigne d’une tradition, encore vivace il y a une trentaine d’années, qui interdisait l’accès des caves aux femmes, dont les règles auraient pu perturber les vinifications.
Pourtant, si l’on étudie la préhistoire du vin, comme Florence Tilkens Zotiades dans Vins, vigne, femmes, une odyssée viticole ? (éd. Apogée), il semble qui cette boisson mythique tire son origine d’une activité féminine, la cueillette et la conservation des fruits – qui, en fermentant, généraient un alcool aux propriétés antiseptiques et euphorisantes que les hommes appréciaient en rentrant de la chasse… Selon certains historiens, cette appétence pour les jus fermentés à base de fruits, miel ou céréales – des aliments contenant du sucre – expliquerait même la sédentarisation des groupes humains et les débuts de l’agriculture. Et l’appropriation masculine d'une production si convoitée : un contemporain de Jules César, le chroniqueur Diodore, relatait que la jarre de vin se négociait au prix d’un esclave.
Pendant des millénaires, les femmes furent limitées à des activités de « petite main » peu rémunérées : taille, vendange ou vente. Au siècle dernier, les garçons suivaient des études agricoles au lycée, les jeunes filles des formations ménagères, l’univers du vin était masculin, voire machiste. C’est pourquoi, contre les violences sexistes dans le monde du vin, la vigneronne Isabelle Perraud (Rhône) a créé l’association « Paye ton pinard », active dans les salons et sur les réseaux sociaux, véritable « Metoo » vinicole.
Le vin au féminin
Aujourd’hui, 26 % des chefs d’exploitation sont des femmes (Agreste, données 2020). En viticulture, cette proportion atteint même 30 %. Certaines appellations se révèlent plus féminines encore, telles les coteaux du Loir et Jasnières, au sud de la Sarthe, avec 35 % d’exploitantes en 2022. La transmission « père et fille » n’est pas rare, ou l’installation que Laure Gasparotto détaille dans son livre Vigneronne (éd. Grasset). Elle raconte une époque de sa vie dans les Terrasses du Larzac, où « La vigneronne est seule dans ses champs, isolée face aux raideurs de l’administration et dans un univers masculin ».
Pour lutter contre cette solitude, dans toute la France, des collectifs régionaux rassemblent des vigneronnes qui échangent sur leurs pratiques, organisent des dégustations, des salons : les Dames de Cœur de Loire, les diVINes d’Alsace, Elles & Beaujolais, les Aliénor du vin de Bordeaux, Femmes et Vins de Bourgogne, les Fa’bulleuses de Champagne, les Eléonores de Provence, Femmes Vignes Rhône, SO Femme & Vin (du sud-ouest de la France), les Vinifilles (Languedoc Roussillon). L’association « femmes de vin » réunit ces collectifs.
Les femmes sont plus nombreuses encore dans la communication, telle Margot Ducancel, fondatrice de l’agence Rouge aux lèvres, qui a reçu le 3 mars 2025 le prix Curnonsky 2025 « saluant son talent pour démocratiser l’univers viticole ». Une semaine plus tôt, Kathleen Van den Berghe, vigneronne de Loire, obtenait son Master of Wine, le plus prestigieux diplôme du monde viticole. Depuis la création en 1953, sur les 425 lauréats, 151 sont des femmes, soit 36 %. Kathleen Van den Berghe devient ainsi la première Belge couronnée.
Paroles de vigneronnes
Une femme conçoit-elle des vins différents ? Les vigneronnes répondent par la négative. Françoise Antech, des Vinifilles du Languedoc : « En ce qui me concerne, je ne vois rien de “féminin” dans mes cuvées ! Elles ne sont pas genrées. Elles sont, je l’espère, précises, droites, tendues, exubérantes, et rafraîchissantes comme pourraient l’être celles de vins d’homme. En revanche, sans les femmes qui m’ont précédée au domaine ou dans le monde du vin en général, je n’aurais pas eu la confiance des autres, mais aussi la confiance en moi-même pour oser. Merci à elles ».
Quant à Emmanuelle, du Mas Seren (Occitanie) : « S’agissant de la vinification, à part trouver des astuces pour alléger les travaux qui nécessitent une grande force physique, je ne vois pas de différence. Faire du vin, c’est, à mon sens, transmettre nos intentions et ce que nous sommes… Il n’est donc pas question de genre, mais de personnalité. Le marqueur le plus féminin pour moi, c’est l’existence de collectifs de vigneronnes dans quasiment toutes les appellations ».
Angélica Oury gère le domaine Oury-Schreiber (Moselle) : « Dans mon métier, je ne me vois pas en tant que femme, mais comme un être humain. Quand un client déguste un vin, je ne souhaite pas qu’il se dise qu'il goûte le vin d'Angélica mais celui qui a été fait grâce à une équipe de tailleurs, ébourgeonneurs, palisseurs, vendangeurs… J'aime le travail en équipe. Il n’y a pas de vin féminin, au contraire, le vin est le produit de la nature qui rassemble les hommes et les femmes ».
Amandine Fresneau, du domaine de Cézin (Sarthe) préside l’AOC Jasnières et Coteaux du Loir. Pour elle, « élaborer un vin, c'est avant tout chercher à exprimer la finesse et le caractère unique de chaque raisin, de chaque parcelle. J’aime que mes vins dévoilent leur personnalité en délicatesse, tout en portant l'empreinte du lieu et de l'année qui les a vus naître. Les femmes apportent de la subtilité dans les vinifications et apprécient les vins plus expressifs, je crois. On aime les vins avec caractère, mais en y apportant rondeur et diplomatie ».
Ces différences s’affirment dans la communication, selon Amandine Fresneau : « J'essaie d’expliquer simplement, sans jargon compliqué. Je pense que les femmes ont apporté de la douceur au monde du vin qui est particulièrement dur, car soumis au climat. Qu’elles ont apporté une meilleure visibilité grâce au marketing, une esthétique à l’étiquette et à la bouteille. La plupart étant achetées par des femmes lorsqu'elles font les courses, le visuel est important ». Et surtout en cette période de turbulences internationales sur les marchés du vin.