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Machinisme

Des tracteurs branchés, mais sur la bonne prise

Le Crédit Agricole Champagne-Bourgogne, le Village by CA de Dijon et Dijon Céréales ont organisé un événement sur la technologie au service de la transition dans le machinisme agricole. L'électrification était au cœur des échanges. Une innovation prometteuse mais qui a ses limites et qui réclame un contexte d'application bien précis.

Par Berty Robert
Des tracteurs branchés, mais sur la bonne prise
Lors de l'évènement du 5 février, une large place a été faite à l'électrification dans le domaine du machinisme agricole.

Face au défi de la décarbonation de l'agriculture, de nombreux leviers peuvent être activés et celui du machinisme en est un. C'était tout l'objet de l'évènement organisé dans les locaux de Dijon Céréales, à Longvic, près de Dijon, le 5 février. Le Crédit Agricole Champagne-Bourgogne, le Village by CA de Dijon et la coopérative s'étaient associés pour creuser cette question de la part que la technologie devrait prendre dans la décarbonation du machinisme et l'accompagnement de ce secteur dans la transition. Supernova Invest, une structure d'investissement dans les nouvelles technologies, liée au Crédit Agricole, était également de la partie. Pour faire le tour d'une question aussi vaste et aux implications multiples il fallait un large panel d'intervenants et des exemples concrets : Seederal est de ceux-là. Cette société, basée en Bretagne, a été fondée par Antoine Venet (retrouvez son interview sur agribourgogne.fr). Elle teste un tracteur tout électrique de sa conception, d'une puissance de 160 ch, avec une autonomie de travail de 8 à 12 heures et un temps de recharge de 2 heures.

Se baser sur les retours du terrain

L'originalité de ce concept est que l'entreprise constitue actuellement une communauté d'agriculteurs-testeurs dans le but d'affiner et de valider les choix de conception. « Nous avons la volonté, explique Antoine Venet, de concevoir le tracteur le plus utile, avec les personnes qui vont l'utiliser. » La coopérative Dijon Céréales est d'ailleurs sur les rangs pour tester le tracteur, en mars ou avril. « Le plus important, poursuit le fondateur de Seederal, c'est de trouver le bon positionnement pour le tracteur électrique : 200 ou 300 ch aujourd'hui, on ne sait pas faire. Notre positionnement est donc plutôt sur de la puissance moyenne ». À ses yeux, l'usage du tracteur électrique doit être différencié selon les chantiers à mener. Il faut aussi prendre en compte le taux d'utilisation des machines (en France, en moyenne il est de 4 500 heures par an, ce qui n'est pas énorme). L'entreprise a pu démontrer que, sur 15 000 heures de travail, l'économie en matière d'émission de CO2 était de 150 t. Ce tracteur diminue l'empreinte carbone de 15 à 17 voitures. L'approche de l'entreprise se fait encore plus large avec une réflexion développée sur le retraitement, le recyclage et même le déconditionnement des batteries. « De toute façon, conclut Antoine Venet, pour que les agriculteurs s'engagent dans la décarbonation du machinisme, le modèle économique sera déterminant. Il faudra sans doute accompagner la prise de risque de l'agriculteur qui fera le choix de l'électrique. »

Un vrai retour économique ?

Benoît Collardot, agriculteur céréalier en Côte-d'Or, confirme cette nécessité : « On se pose inévitablement des questions quant au retour sur investissement par rapport à ces nouvelles technologies, mais on fait aussi le constat que, depuis deux ans, les charges de mécanisation plombent nos comptes. Au-delà des aspects liés à la valeur de revente ou à la fiabilité de ces nouveaux matériels, on attend des tracteurs qui nous permettent des retours sur investissement liés à la recharge électrique en comparaison du carburant. » À cette condition économique pour s'engager dans la décarbonation, Frédéric Imbert, président du pôle régional d'innovation en agroécologie Agronov en ajoutait une autre : la facilité d'usage. Une condition déjà illustrée par un segment de marché relativement réduit mais qui a bien compris l'intérêt de l'électrique : les valets de ferme, petits engins permettant la manutention. Reste que tout cela s'inscrit dans un contexte de ralentissement du marché des machines agricoles et d'écroulement des marges des concessionnaires. La question de la pérennité du modèle économique de distribution et de l'entretien du machinisme se trouve donc directement posée. Il y a, pour le secteur, l'obligation, comme le souligne Alex Mortier, président du Sedima, le syndicat des professionnels de la distribution du machinisme agricole, de former les mécaniciens, les magasiniers pour entretenir les matériels existants et ceux innovants. « De plus, ajoute-t-il, même sans parler d'électrique, les réglementations environnementales de plus en plus strictes entraînent un renchérissement des matériels, sans pour autant qu'ils soient plus performants. S'engager dans la décarbonation devra rimer avec la fiabilité des matériels, leur coût, mais aussi une prise de conscience de la population quant au rôle de l'agriculture… » Enfin, Alex Mortier rappelait aussi une donnée que beaucoup oublient : avec un marché de la machine agricole neuve qui se monte à environ 26 000 unités par an en France, contre 1 million de voitures, on ne peut pas exiger du secteur les mêmes capacités d'investissement dans l'innovation.

 

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