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Viticulture

Comment l’Italie intéresse les jeunes au vin

En Italie, les foires et fêtes du vin enthousiasment les vingtenaires, qui les fréquentent avec assiduité et achètent leurs premières bouteilles. L’avenir de la viticulture italienne est entre leurs mains.

Par Pierrick Bourgault
Comment l’Italie intéresse les jeunes au vin
Via del vino (Route du vin) à Alba, septembre 2022.

Lorsque la « Via del vino », la route du vin, investit les rues piétonnes d’Alba (Piémont), ce ne sont pas des marques de vêtements, de chaussures ou les boutiques high-tech qui passionnent les groupes de jeunes, majoritairement féminins, mais les stands des vignerons. Installés dans des barnums, une cinquantaine de domaines de la région expliquent, détaillent. Et ce n’est pas un smartphone made in China ou un gobelet en plastique que les jeunes tiennent à la main, mais un magnifique verre de dégustation, moyennant une participation de 18 €. Ils écoutent et goûtent, d’un stand de vigneron à un autre. Les couples d’amoureux s’affichent durant ce temps fort de la vie sociale qui réunit le plaisir de déambuler et celui de déguster. Avec leur budget loisirs, certains acquièrent une bouteille qui leur plaît et dont ils parlent volontiers : « Moi, j’aime le rouge ». « Moi, je ne bois que du sweet wine ». « Plutôt des bulles, lorsqu’on fait la fête ». Ils ne travaillent pas dans un domaine viticole, ne s’affirment pas spécialistes mais n’ont pas peur du vin et citent champagne et bourgogne. Le contraste est frappant avec les foires aux vins françaises, fréquentées par des cheveux poivre et sel, au goût et au pouvoir d’achat supposés meilleurs.

Pédagogie

Comment l’Italie réussit-elle à intéresser les jeunes au vin ? Francesca Mariotti est l’une des responsables communication du Douja d’Or d’Asti, une autre manifestation de la région, fondée en 1967. « Nous organisons des master class et des dégustations pendant dix jours pour faire apprécier nos vins du Piémont. Nous voulons les expliquer aux nouvelles générations – pas seulement pour qu’ils les boivent, mais les comprennent. C’est la mission des sommeliers. »

Selon Francesca, sommelière; « les jeunes partent étudier à l’étranger sociologie, sciences politiques, marketing et ce mix nous apporte beaucoup pour le vin, comme pour la promotion et la valorisation de notre territoire, classé au patrimoine de l’Unesco ». Les fêtes s’y succèdent, liées aux saisons de la truffe et autres produits agricoles typiques.

Marisa Margara, responsable communication à la région (VisitPiemonte), rappelle qu’à chaque automne, les coopératives organisent des vendanges pédagogiques avec les écoles primaires. Les enfants, éventuellement accompagnés de leurs parents, pressent le raisin et goûtent le jus. Même initiative à l’office de tourisme du Montferrato : « c’est un moment en famille où l’on améliore sa connaissance du territoire. On évoque l’histoire depuis les Romains, on explique aux enfants que le vin est bien davantage que du vin. On explique aux jeunes – bien sûr après 18 ans – que si on l’apprécie, on n’a pas besoin d’en consommer beaucoup, mais de qualité. C’est à la fois un art et une responsabilité. Certains jeunes boivent trop, sans comprendre ce qu’ils boivent ». La dégustation favorise la modération.

Proximité et prestige

Julia, sommelière, estime que « les jeunes s’y intéressent car le vin appartient à notre culture, à notre vie – et car nos vins sont bons ! Beaucoup vivent à la campagne, près des vignes ». L’Italie est en effet l’un des rares pays où la vigne pousse dans toutes ses régions, des neiges du val d’Aoste à la Sicile. Cette proximité joue en faveur du vin : les parents sortent avec leurs petits en poussette jusqu’à des heures fort tardives, certains voient les grands-parents vinifier à la maison, voire distiller la grappa, activité réglementée mais peu contrôlée ; c’est un temps fort de la vie familiale. Cette approche décomplexée rappelle le goût des Romains pour le vin. Quant au prestige, les sommeliers italiens le cultivent avec leur uniforme noir, leur chaîne d’huissier de palais présidentiel et la scénographie de leurs apparitions millimétrées. Lors des master class de l’Universite des sciences gastronomiques créée par Carlo Petrini à Pollenzo (Piémont), pas moins de cinq sommeliers servent une trentaine de personnes lors de mises en scène théâtrales, symétriques et valorisantes.

Présence

Transmettre, c’est montrer, ne pas cacher derrière les grillages d’une zone industrielle inaccessible aux habitants et aux touristes. Ainsi, le village de Barbaresco (Piémont) a voulu garder sa coopérative viticole au pied de sa célèbre tour carrée. Le défi étant d’installer une industrie dans un bourg classé monument historique. Certes, le plus simple eut été de construire un chai sur un terrain bien desservi par la route. Le choix de rester dans le bourg était plus osé, il a fallu creuser des caves profondes et les tracteurs défilent à la saison des vendanges – mais ce choix ravit les touristes de tous âges, qui photographient et filment un savoir-faire devenu invisible ailleurs, à moins de s’inviter dans une propriété privée. Franco Colombo, le directeur de la tour historique, y organise des expositions d’art contemporain et des dégustations, tout en observant l’activité des vignerons et le magnifique paysage viticole, les rangs de vigne qui alternent avec les tuiles des maisons. Le vin participe à la vie du village.