Agritourisme haut de gamme en Turquie
La Turquie, grand pays agricole et touristique, vient de réélire le président Erdogan au pouvoir depuis 2003. Rencontres avec des acteurs de la ruralité et de l’accueil.

Voyager dans la partie ouest, sur les routes d’Izmir à Denizli, révèle une Turquie travailleuse, ingénieuse et joyeusement colorée : des villages aux maisons peintes en vert, turquoise ou rose et couvertes de tuiles rouges, ponctuent les paysages d’oliviers, de figuiers et de vignes entretenus avec soin. Huile d’olive, fruits frais et secs sont largement exportés et seulement 2 % du raisin deviendra du vin : la quasi-totalité est consommée à table, en raisin sec ou transformée en raki, l’alcool local aromatisé à l’anis. Les cultivateurs roulent dans leur increvable Renault 12, les plus modestes partent aux champs sur d’étonnantes petites motos avec une remorque latérale, tel un side-car. Ici et là, des tunnels en plastique, des serres, des élevages bovins laitiers. Partout, des artisans qui travaillent bois, marbre ou métal, des terrasses ombragées où les hommes, les familles prennent le thé. Des chauffe-eau solaires équipent les toits, simples radiateurs dotés d’une réserve ; en Turquie, chauffer l’eau n’est pas un souci. Quant au carburant, il s’affiche de 0,60 à 0,90 € le litre, un coût important par rapport au niveau de vie du pays. L’inflation préoccupe tellement les Turcs que l’opposant d’Erdogan, le candidat Kemal Kiliçdaroglu, a brandi un oignon dans l’une de ses vidéos pour insister sur la nécessaire maîtrise des prix agricoles et alimentaires.
L’agritourisme se développe
Vaste pays de 84 millions d’habitants situé entre Europe et Asie, la Turquie est l’une des premières destinations mondiales grâce à ses plages, ses vestiges antiques et sa gastronomie. Son agriculture devient ainsi le thème d’itinéraires, de visites et de séjours pour un public aisé et international. Dans la cité touristique d’Urla, près d’Izmir, la productrice d’huile d’olive Pelin Omuroglu organise des tastings dans sa grande maison ancienne, fraîche et confortable. Avec des verres colorés, « car ce n’est pas la couleur de l’huile qui doit être jugée. L’huile la plus sombre n’est pas la plus forte en goût. » Elle insiste sur les notes végétales et florales, les vertus pour la santé, les antioxydants. Elle différencie les olives vertes récoltées tôt et les brunes plus tardives. Par chance, xylella fastidiosa n’a pas attaqué les 8 500 oliviers qu’elle exploite sur 12 ha balayés par le vent et peu soumis aux maladies, permettant ainsi la culture biologique. Elle vend une partie en fruits et l’autre devient 40 tonnes d’huile, dans de jolies petites bouteilles. Avec sa marque Olivurla, Pelin Omuroglu participe à une association de femmes oléicultrices.
Olives, fromage blanc et feta, appréciés dès l’Antiquité, constituent toujours une base de l’alimentation. Tomates et poivrons, qui semblent si méditerranéens, n’apparaissent qu’après la découverte de l’Amérique. Du « restau turc », les Européens ne connaissent guère que le doner kebab, rouleau de viande vertical grillé lors de sa découpe, mais la gastronomie turque se révèle nettement plus éclectique. À Cesme, le restaurant Asma Yapragi est un jardin semé de tables, de chaises dépareillées et de vaisselle ancienne, qui évoque la brocante colorée d’un magazine de décoration. Les légumes des maraîchers locaux, artichauts, fleurs de courgettes et tomates rares y sont joliment préparés.
Œnotourisme de luxe
D’autres adresses associent chambres d’hôtes au milieu des vignes et restaurant gastronomique. Ainsi, à Selçuk près d’Izmir, Mayadan se situe au cœur d’un domaine viticole avec piscine. La salle du restaurant donne sur la cuverie esthétiquement éclairée. Plus luxueux, Teruar (Urla) propose une dizaine de chambres en pleine nature et une formule à 75 € le grand menu, avec une cuisine créative digne de maisons étoilées. Les visites de domaines viticoles s’agrémentent de vidéos dans lesquelles des couples jeunes, beaux, riches et amoureux apprécient les vins turcs ; la vie rêvée des classes aisées, perpétuellement souriantes. La Turquie joue la carte de l’œnotourisme de luxe, pour les étrangers en été et les Turcs fortunés en hiver, tandis que d’innombrables éoliennes tournent sur les collines. La réélection d’Erdogan, qui limite la communication sur le vin et le taxe pour des raisons sanitaires et religieuses, ne devrait pas changer la situation : le vin restera un produit de luxe. C’est du thé que le peuple sirote, à l’ombre des jardins. En visitant les cités d’Éphèse et de Tripolis, les guides montrent des pilons qui servaient à broyer les céréales, d’anciennes tavernes redécouvertes et assurent que, vingt siècles plus tôt, des terrasses s’y étalaient pour les buveurs de vins et de tisanes. En posant ses pas sur les pavés des villes anciennes, on se prend à rêver à l’Antiquité qui a inventé la convivialité des tavernes, le fast-food des thermopolia et aussi les terrasses !
Une forte personnalité
La Turquie est un pays agricole mais aussi industriel dont les productions furent appréciées durant la crise du Covid, car elles se substituaient aux usines chinoises défaillantes. La guerre en Ukraine a rappelé que la Turquie se situe sur les routes stratégiques de l’énergie. Ces atouts lui assurent une reconnaissance mondiale et une croissance forte. Le président Erdogan a exalté un sentiment de fierté nationale pour réaffirmer son autorité et gagner, malgré l’inflation, sa nouvelle élection.