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Point de vue

« A l'attention des paysans et de celles et ceux qui souhaitent les défendre »

Christian Decerle, président sortant de la Chambre régionale d'agriculture, dresse le bilan de son action et livre un regard, à la fois inquiet et chargé d'espoir, sur l'agriculture.

Par Christian Decerle
« A l'attention des paysans  et de celles et ceux qui souhaitent les défendre »
Christian Decerle, un engagement de longue date au service l'agriculture.

« Les États-Unis ont récemment choisi leur Président. Ses dernières déclarations font trembler le monde. L’Europe s’inquiète ! La sécurité et le « vivre ensemble » que garantit l’Union Européenne, elle-même construite sur les valeurs de la paix, la démocratie, la liberté, l’égalité, semblent plus fragiles. Les politiques européennes, fruit de l’histoire d’après-guerre, et dont la construction aura été liée à la personnalité, à la clairvoyance, à la solidité de dirigeants, reprennent leur sens. Dans ce contexte chargé d'inquiétudes, notre souveraineté agricole et alimentaire constitue l’une des grandes politiques fondatrices de l'Union européenne. Elle s’impose comme un véritable choix stratégique, au même titre que les souverainetés énergétiques, médicales, de sécurité et de défense… L’Europe mesure brutalement les conséquences du retard pris dans ces secteurs. Dans ce contexte, les dirigeants politiques ne peuvent différer ou fuir les arbitrages qui leur reviennent sur les sujets « qui fâchent ». Qu’il s’agisse de compétitivité, de coût du travail, d’explosion des normes, de surtransposition, ou encore de prédation qui n’est en rien un indicateur de la biodiversité mais qui condamnera à coup sûr l’élevage, le risque est évident d’accroître l’amertume et le découragement du monde agricole. Amertume exprimée lors des élections aux Chambres par l’abstention ou par des choix qu’il convient d’analyser finement, et qui ne peuvent qu’interroger l’ensemble de la profession. Nous reculons d’année en année en volume et en compétitivité sur la quasi-totalité de nos productions agricoles. Plus que jamais, nous avons besoin des Paysans. Nous devons prendre soin d’eux en les écoutant et en les respectant. Le nombre d’agriculteurs décroît de façon inquiétante, alors qu’ils nous garantissent, sur des exploitations familiales, une alimentation de qualité, en quantité, à un prix souvent inférieur au coût de production qui ne permet pas toujours à leurs familles de vivre décemment. Notre profession subit les bouleversements liés au dérèglement climatique dont elle est tributaire. Lucide et préoccupée, elle prend sa part et contribue positivement aux enjeux environnementaux. Ce contexte impose une recherche agronomique ambitieuse, dynamique, bénéficiant d’un soutien sans faille de la puissance publique. L’enseignement professionnel aura également un rôle majeur à jouer. La profession agricole est en quête de légitime reconnaissance et de sens sur son avenir. Il est impossible d’ignorer la réalité des difficultés économiques et morales qui, dans notre pays, frappent de trop nombreuses exploitations avec parfois des conséquences dramatiques. Les enjeux actuels et futurs pour l’agriculture et pour nos territoires ruraux sont considérables. Notre profession a eu la chance de pouvoir compter sur des visions ambitieuses et courageuses grâce à une coopération instaurée entre dirigeants politiques - responsables professionnels, État, collectivités…- le plus souvent accompagnés par des administrations aidantes et bienveillantes. Il me revient le souvenir de rendez-vous cruciaux qui auront impacté notre agriculture : les accords du Gatt, la chute du mur de Berlin, les grands accidents climatiques, la PAC de 1992… Mais aussi la puissance du rassemblement historique du dimanche des Terres de France ayant réuni près de 300 000 personnes en 1991, ou l’appel de Charolles du 9 décembre 1997 mobilisant plus de 6 000 éleveurs. De toutes ces années, je retiens l’importance, souvent déterminante, de choix et d’arbitrages courageux d’hommes et de femmes politiques, de professionnels, de fonctionnaires… qui auront durablement impacté la destinée de nos exploitations. En évoquant la noblesse de l’action collective et de ce qu’elle peut générer de meilleur, je ne peux passer sous silence la gestion du Feader dans notre Région depuis son transfert aux Conseils régionaux. Je refuse d’accepter la façon dont notre Conseil régional gère les fonds du second pilier de la PAC, déterminants pour notre agriculture et son adaptation aux enjeux de demain. Dans une région qui « porte l’agriculture dans son cœur » une obligation de résultat s'impose aux élus et à leurs services, comptables de la mise en œuvre des politiques publiques dont ils ont la responsabilité pour assurer au plus vite les règlements dus aux agriculteurs. Il s’agit d’un indescriptible échec dont nombre d’agriculteurs resteront les victimes, et qui n’a nul autre équivalent en France. Les Paysans n’ont pas à payer l’irresponsabilité des élus de cette région, pas plus que celle de son administration, avec, parfois, des intentions particulièrement ambiguës. Une telle gestion ruinerait à coup sûr n’importe laquelle de nos exploitations agricoles. En écho à ces moments qui ont marqué l’évolution de notre agriculture et avec le souvenir du CNJA, j’aimerais transmettre quelques conseils bienveillants pour encourager les jeunes qui s’engagent : notre métier nécessite le plus souvent une organisation collective efficiente. Ne la négligez pas au risque de le payer cher. Votre engagement compte, n’en doutez pas. Sachez l’adapter à vos contraintes et à vos disponibilités, dans nos organisations, nos municipalités, ou au-delà… Conservez le profond respect de vos mandants. Militez pour vos pairs et ne laissez jamais votre engagement s’éloigner de cette préoccupation qui doit guider le sens et les moyens de votre action. N’abandonnez jamais la légitimité que vous aurez acquise, et ne cédez rien de votre pouvoir d’influence, ni aux institutions, ni aux technostructures. Ne négligez pas votre investissement, à titre individuel et collectif, dans la formation et ce, tout au long de votre parcours. Partagez avec d’autres milieux professionnels vos préoccupations et vos espoirs : vous pourrez parfois unir vos forces. Rendez fructueux votre investissement et recherchez l’efficacité. Le temps est précieux, l’inefficacité décourage et génère des abandons. Entourez-vous de personnes de confiance, loyales et compétentes, qui vous conseilleront et vous aideront à atteindre les objectifs que vous poursuivez. Les erreurs sont inévitables et parfois bénéfiques, si l’on sait en tirer des enseignements. Ne vous laissez pas déstabiliser par la critique dans laquelle, souvent, les plus médiocres excellent. Restez ambitieux et force de propositions, apprenez à résister aux attaques et ne reniez jamais vos convictions ni vos valeurs. Ce mandat qui vient de prendre fin n’aura pas été facile. Nous aurons réussi plusieurs réalisations. L’une d’entre elles mérite une attention toute particulière : elle repose sur la riche contribution de plus de 2 200 agriculteurs, conseillers, opérateurs économiques, associations… Les travaux « Imaginer demain - Agir maintenant » portent une vision stratégique à 2040 pour l’agriculture de BFC. Conduits dans une belle dynamique collective, ces travaux proposent de nombreuses actions concrètes. Le rapport dense et complet, soutenu par plus de 50 structures régionales, peut inspirer et orienter des stratégies d’avenir. Je tourne aujourd’hui la page d’une vie d’engagement, au cours de laquelle, avec d’autres, j’aurai toujours essayé humblement, et inlassablement, d’être utile à notre profession, et, avant tout, aux hommes et aux femmes de la terre. J’ai le sentiment du devoir accompli, en laissant dans ce dernier mandat la Chambre régionale d’agriculture de BFC dans une situation parfaitement saine et sécurisée. Un bel outil à la main des paysans, et qui, surtout, doit rester pleinement à leur service et garder de manière effective sa mission d’accompagnement de tous les agriculteurs. Je retiens le meilleur. Des personnalités et des solidarités marquantes, des relations humaines riches et denses, des dynamiques collectives positives aux retombées bénéfiques, beaucoup de générosité, souvent chez les plus modestes et les plus humbles. Je remercie très chaleureusement celles et tous ceux qui m’ont toujours soutenu, et m’ont permis de maintenir intacte cette ardeur pour défendre un monde Paysan dont je connais parfaitement la résilience, la combativité et les valeurs. Un monde Paysan qui mérite respect et considération, qui, face à son avenir, aura besoin de dirigeants solides pour une défense sans faille, déterminée et toujours engagée. »