Solidarité internationale
L'Afdi, au croisement des cultures et des projets
C’est le lycée agricole de Fontaines, en Saône-et-Loire, qui a accueilli l’assemblée générale d’Agriculteurs français et développement international (Afdi) de Bourgogne-Franche-Comté, mi-mai. L’association assume de véritables missions de service public profitant à toutes et tous. Elle a aussi un nouveau président en la personne d’Étienne Degay, agriculteur jurassien.
« La cause et les valeurs que vous défendez sont aussi les nôtres, surtout à l’heure du repli sur soi » : c’est par ces mots que Pierre Botheron, directeur de l’EPL Sud Bourgogne, à Fontaines, en Saône-et-Loire, accueillait, le 14 mai, les participants à l’assemblée générale d’Agriculteurs français et développement international (Afdi) BFC. Malgré une forte sensibilisation, avec des bénévoles faisant le tour des établissements scolaires agricoles et des organisations professionnelles, l’association reste méconnue, regrette son président sortant, Marc Gauthier, auquel a succédé le Jurassien Étienne Degay. Ce n’est pourtant pas faute de se démener. Pour le trésorier, Marcel Cottin, s’il devait valoriser le temps passé par les bénévoles – en réunions, en missions à l’étranger, en accueil d’étrangers, en formations – cette « riche vie associative » (équivalente à 489 journées d’activités bénévoles) aurait rapporté 87 000 euros en 2023 comme en 2022. « Ce sont des paysans qui parlent à des paysans, soulignait Bernard Lacour, président de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Une relation de compagnonnage entre agriculteurs français et africains avec une même passion, les yeux qui brillent, et des projets… Des passerelles créées entre villages pour s’apporter mutuellement et avec de meilleurs projets de vie. La paix de notre village mondial passe par l’ouverture d’esprit ». Encore faut-il se comprendre et dépasser nos idées reçues. D’où des formations au Nord à l’Éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI).
Des valeurs propres à chaque société
Comme l’avait étudié l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (Race et Histoire, 1952), les valeurs locales sont propres à chaque société et la modernité ou la richesse peuvent se mesurer différemment selon les coutumes. L’animatrice de l’Afdi BFC, Grâce Joffre, intervient pour « planter des petites graines dans les cerveaux » des futurs agriculteurs de la région dans l’espoir de leur ouvrir l’esprit tout au long de leur carrière pour voir l’internationale comme une chance. En 2023, l’Afdi a réalisé 12 interventions scolaires (269 élèves sensibilisés). Cela passe surtout par l’accueil de missions de partenaires. La Saône-et-Loire a des partenariats avec le Tchad et Madagascar. Chaque département noue ses propres partenariats avec des organisations paysannes de pays qu’il a envie d’aider et inversement. Les bénévoles de l’Afdi vont aussi à la rencontre des élus des organisations professionnelles de BFC pour « initier des opérations afin de travailler ensemble », comme avec les Chambres d’agriculture, le syndicalisme ou encore Groupama. « Finalement, sous-entendait Pierre Bothéron, il y a plus de points communs entre deux paysans qu’entre un agriculteur et un urbain parfois » sous-entendait sans méchanceté, Pierre Bothéron, qui peine à recruter pour son établissement dans les familles chalonnaises avoisinantes.
Lien avec la Draaf
Le président d’Afdi BFC avait convié Marie-Catherine Arbellot, de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf BFC) afin de proposer l’intégration dans le conseil d’administration de l’Afdi, d’un représentant de cette administration. L’opportunité de toucher potentiellement près de 10 000 jeunes scolarisés en établissements publics et privés auxquels se rajoutent 4 000 apprentis et un million d’heures de formations pour adultes. Outre la gestion des formations, des bourses, des examens, la Draaf a pour mission de développer des partenariats avec l’étranger pour permettre aux BTS de faire des stages et suivre des cours dans d’autres pays européens ou tiers « pour une troisième année à l’international ». Un programme Erasmus est même déposé, en attente de validation, pour les BTS agricoles de la région. Également à savoir : un consortium s’est noué entre le Maroc et la Région sur les questions de transformations alimentaires des produits fermiers et commercialisation en circuit court. Malgré des populations africaines comptant encore beaucoup de paysans, les pays n’ont pas forcément de formations agricoles structurées. Marie-Catherine Arbellot se charge donc d’écrire et de proposer des référentiels de formation en agronomie pour les écoles agricoles du Burkina Faso, par exemple. L’Afdi aide des organisations paysannes dans leurs projets « pour les accompagner vers l’autonomie technique et financière », expliquait Étienne Degay. Les équipes proposent aux paysans africains leur aide sur la commercialisation, l’installation des jeunes, l’inclusivité et l’appui aux femmes, sur la qualité des produits, mais surtout sur « l’égalité dans la gouvernance ». Des rapports permettent de rendre compte aux financeurs publics (Agence France développement…) ou privés (négoce Bresson, Fromagerie Milleret…). Attention toutefois à ne pas vouloir aller trop vite : les équilibres locaux sont fragiles.
Le mieux est parfois l’ennemi du bien
L’Icaunais Thierry Desvaux témoignait à propos de la gouvernance du Cercle régional des agriculteurs malgaches (Cram) Fianarantsoa, à Madagascar, qui a presque « trop bien » réussi. L’Afdi BFC accompagne 139 paysans adhérents à ce Cram sur la production de riz. Avec le développement du volet multiplication de semences, « ils se sont spécialisés presque à outrance, mettant à l’écart certains producteurs », soulignait le céréalier de l’Yonne. Productivité, rentabilité peuvent exclure ceux ne suivant pas, ne pouvant pas ou ne voulant pas être semenciers. L’Afdi leur a donc proposé de revoir le règlement intérieur pour intégrer les autres producteurs moins spécialisés. Désormais, une vingtaine de semenciers sont regroupés au sein de la coopérative avec les producteurs de riz qui développent des légumineuses (arachides, pomme de terre…). Si une entente a pu être trouvée, peut-être est-ce aussi en raison de la forte présence de femmes « dynamiques dans une gouvernance inclusive » avec les hommes. L’occasion pour Joseph Roux, autre agriculteur de l’Yonne et président de l’Afdi national pour Madagascar, de parler du Projet innovant de la société civile et coalitions d’acteurs (Piscca), qui va avec le Groupement pour le développement des paysans de Haute-Matsiatra (une région de Madagascar), « à vocation plutôt syndicale au départ qui cherchait des activités rémunératrices ». Le Piscca a bénéficié à 12 femmes. Elles se sont formées au maraîchage et à la gestion collective de pépinières sur cinq communes. 93 tonnes de légumes ont été produites dès cette première année. Le tout a été complété par des formations sur la nutrition « pour changer du riz ». Carotte, choux chinois, courgette, concombre… 24 légumes « peu habituels » sont rentrés dans l’alimentation des familles. La récolte de crédits au sein d’un groupe – sous forme de tontine – a permis de mettre en place la vente des surplus au profit du collectif. De quoi enclencher d’autres projets dans une boucle vertueuse.
Besoins de bénévoles et de mécènes
Des baisses de dotation de l’Agence française de développement, où du côté de la Région BFC, vont impacter le budget de l’Afdi. « On arrive tant bien que mal à équilibrer les comptes », déplore Marc Gauthier qui en appelle à de nouveaux agriculteurs cotisants individuels, entreprises ou OPA. Les économies imposées lors de la crise sanitaire du Covid, qui avait freiné les missions à l’étranger, ont été nécessaires pour équilibrer les comptes cette année. Les nouveaux partenariats au Togo ou les voyages d’études à Madagascar dépendent donc de plus en plus des ventes de produits ou réalisation d’événements payants (repas solidaire…). « On a aussi du mal aussi à mobiliser les filières Comté et Vins de Bourgogne » pour du mécénat salutaire.