Amande
Le pari de la frangipane locale

Morgane Eymin
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Des galettes des rois à base de frangipane locale ? Dans la Drôme, le Gaec familial du Colombier peut compter sur un seul artisan pour valoriser sa production d’amandes.

Le pari de la frangipane locale
« C’est une question de volonté. Si la clientèle veut du local, les artisans et les industriels feront l’effort », défend Patrick Jouve, entouré de Cyril Hugues (à gauche) et de Mathis Hugues (droite). (Photo ME/AD26).

La gourmandise atteint son apogée avec ce mélange de beurre, sucre, œufs et poudre d’amande. La frangipane, cette crème savoureuse qui garnit nos traditionnelles galettes des rois, repose aussi sur la qualité de ces matières premières prisées des pâtissiers. Ce goût d’amande, ô combien caractéristique de la galette, a conquis les Français, qui en consomment entre 30 et 32 millions d’unités chaque année au mois de janvier pour L’Épiphanie. Et ce délice a un coût… Qui peut parfois laisser un goût amer. Comptez de 15 à 30 euros en boulangerie-pâtisserie pour goûter ce délice. Des prix qui ne cessent d’évoluer d’année en année au grand dam des consommateurs. La raison selon les vendeurs ? La hausse du coût des matières premières. Qu’en serait-il alors s’ils faisaient le pari de la frangipane locale ? Le choix d’acheter des amandes françaises ? Certains ont relevé le défi avec succès. Dans la Drôme, une biscuiterie joue le jeu des amandes locales depuis plusieurs années. Les fruits à coque qui subliment ses créations poussent à moins de cinq kilomètres de ses fourneaux.

Un modèle d’économie circulaire

L’aventure amandicole démarre en 2017 pour Cyril Hugues, agriculteur à Salettes et membre du Gaec familial du Colombier. Lui et son frère Samuel échangent avec Sébastien Villeneuve, un voisin producteur d’amandes qui les met en relation avec un biscuitier qui souhaite se fournir localement. Patrick Jouve a fondé Croc Déli Drôme en 2000 à Cléon-d’Andran avec comme objectif de se fournir le plus près possible en matières premières. « C’est une question de volonté. Si la clientèle veut du local, les artisans et les industriels feront l’effort, défend Patrick Jouve, vêtu de sa veste de cuisine vert pistache. Mettre de l’argent dans le circuit court, c’est faire vivre les gens et les familles autour ». Ce dernier, fils d’agriculteur croit en une « économie circulaire et de proximité ». Un partenariat que l’artisan qualifie de « gratifiant pour tout le monde ». Patrick Jouve met en avant la « traçabilité et l’empreinte carbone, pas d’avion ni de bateau », les « rapports humains » et « cette dynamique à travers laquelle on se fait tous travailler et on se serre les coudes ». Toutefois, après plus de vingt ans à chercher l’approvisionnement local, il peine toujours à trouver certains produits comme le beurre de qualité et en quantité.

Cette dynamique a convaincu Cyril Hugues de se lancer dans la production d’amandes. « Si nous n’avions pas des appuis locaux comme ça, ce travail n’aurait pas de sens, indique l’agriculteur. Le manque de vision sur le long terme, c’est le problème aujourd’hui dans l’agriculture. Avec des partenaires comme ça, nous y voyons plus clair. Nous pouvons envisager des plantations car nous savons qu’il y aura des débouchés et que nous pourrons gagner notre vie ». Ainsi, le Gaec du Colombier a planté ses quatre premiers hectares de vergers en 2017. Le partenariat avec Croc délice est né trois années plus tard. La même année en 2020, Cyril Hugues s’est associé avec six autres producteurs d’amandes pour créer une Cuma et construire la Casserie de la Drôme provençale. Ce bâtiment permet aux agriculteurs de casser leurs amandes à Savasse, près de Montélimar. « Avant, nous cassions nos fruits en Espagne mais cela perturbait la traçabilité de nos produits et jouait sur notre empreinte carbone », rapporte Cyril Hugues.

Trouver des débouchés pour grandir

Aujourd’hui, ce sont 19 hectares d’amandiers qui poussent et fleurissent sur les parcelles du Gaec du Colombier. De huit tonnes d’amandons en 2024, l’exploitation projette de grimper à 18 tonnes d’ici 2027. La culture de ce fruit à coque exige un travail important toute l’année. La récolte se déroule en septembre et le cassage s’étend jusqu’à fin décembre. Le reste de l’année, l’entretien des vergers, le conditionnement et la commercialisation impliquent la mobilisation des agriculteurs. L’ennemi des amandiers, comme de nombreuses autres productions, c’est le gel. Cyril Hugues l’a vécu en 2021. « Nous avons perdu 100 % de nos productions, zéro récolte », témoigne-t-il. Pour élargir sa gamme d’amandes, le producteur s’est associé avec Sébastien Villeneuve, son voisin producteur, pour l’achat d’un torréfacteur et d’un broyeur. L’objectif est de valoriser les brisures d’amandons en poudre. Si, pour l’instant, le Gaec du Colombier valorise sa production auprès de Croc Déli Drôme et dans quelques boutiques, il projette de doubler ses surfaces d’ici les quatre prochaines années.

« Mais pour cela, nous avons besoin de s’assurer des débouchés », précise Cyril Hugues. Ainsi, le producteur démarche des chocolatiers, des nougatiers et des artisans pâtissiers boulangers pour nouer des partenariats durables. « J’ai pu voir ce que proposaient les grossistes. Leurs prix sont aberrants. Je me demande comment ils parviennent à vendre à un prix aussi bas », s’exaspère Patrick Jouve. L’artisan a fait le choix de payer trois fois plus chères les amandes locales. En plus des galettes en janvier, il produit des croquants aux amandes salés et sucrés le reste de l’année. Selon le biscuitier, « la clientèle est en demande. Elle lit les étiquettes, s’interroge et demande de la transparence », rapporte celui qui vend une centaine de galettes chaque jour en janvier. De son côté, Cyril Hugues ne peut envisager une vente de ses amandes en dessous de 13 euros le kilo pour des calibres moyens et 15 euros pour de gros calibres. Il souhaite valoriser sa brisure à 10 euros le kilo et à 12 euros le kilo de poudre d’amandes. « Si nous voulons une production durable et locale, nous devons passer par ces prix-là. Nous voulons que ce soit viable », assure l’agriculteur. Une production durable et viable, pour le Gaec familial, c’est aussi un pari d’avenir pour installer les générations futures. En 2025, Cyril Hugues espère voir son fils Mathis, 24 ans, s’installer à ses côtés et faire perdurer cette passion familiale.

Des galettes des rois en 24 heures
Pour concevoir une galette, le biscuitier réalise de nombreuses étapes en 24 heures. (©Croque Déli Drôme)

Des galettes des rois en 24 heures

Son savoir-faire, Patrick Jouve le doit à un excellent apprentissage sur le feuilletage des galettes des rois. « Elles sont excellentes à manger sans modération », peut-on lire sur les commentaires des clients laissés sur les réseaux sociaux. Pour concevoir une galette, le biscuitier réalise de nombreuses étapes en 24 heures : réception des amandes, cassage, création de la pâte, frigo, intégration du beurre, création des crèmes pâtissières et d’amandes, une nuit de repos au frais et, le lendemain, finalisation et garnissage. Chaque année, ce dernier ne parvient pas à répondre à la demande de sa clientèle friande de galettes. Pourtant, il en produit une centaine par jour. En parallèle, l’artisan doit aussi gérer la production de ses autres marchandises (pognes, croquants, sablés…). La biscuiterie Croc Déli Drôme, qui emploie dix salariés, fait tourner ses fourneaux sans relâche… Pour le plaisir (insatiable) de sa clientèle d’habitués ou de passage.

Un Gaec familial et diversifié
« Nous pouvons envisager des plantations car nous savons qu’il y aura des débouchés et que nous pourrons gagner notre vie », défendent Cyril Hugues et son frère Samuel. (photo ME/AD26)

Un Gaec familial et diversifié

Voilà 27 ans que Cyril Hugues a rejoint les exploitations agricoles familiales. À son arrivée, en 1997, la ferme de son oncle, basée à Savasse, et celle de ses grands-oncles du côté de sa mère, à Salettes, se regroupent pour former le Gaec du Colombier. En 2003, son frère Samuel les rejoint suivi de Jérôme, un autre associé en 2008. L’exploitation qui regroupait environ 110 hectares divisés en céréales, vin et en lavandin en 1997, n’a cessé de se développer. L’installation du réseau d’irrigation sur la plaine de Marsanne a permis de se diversifier davantage. Arboriculture, maraîchage, grandes cultures et semences ont été ajoutés au fil des années. Le Gaec a ouvert une boutique pour valoriser sa production à Charols. Actuellement, trois associés gèrent l’exploitation qui emploie quatre salariés à temps plein et des saisonniers. Le prochain à rejoindre le Gaec familial devrait être Mathis, fils de Cyril Hugues, âgé de 24 ans. Celui qui espère rejoindre l’exploitation d’ici juillet 2025 la connaît déjà bien. Après trois années en tant que salarié sur la ferme mais aussi à la casserie ou en distillerie, il souhaite travailler davantage à la production. « C’est une révélation. Je n’avais jamais travaillé pour moi et je vois le travail autrement », déclare le jeune homme. Rien ne le destinait à rejoindre l’exploitation puisque ce dernier avait d’abord choisi de suivre des études de génie thermique. Finalement, après avoir découvert le travail en famille, il a réalisé une validation d’acquis d’expérience (VAE). Développer les amandiers, d’autres cultures ou la commercialisation sont autant de bonnes raisons pour le jeune agriculteur de vouloir se lancer dans cette aventure familiale. « Nous sommes une ferme diversifiée donc cela fait moins peur pour l’avenir », témoigne ce dernier. D’ailleurs, l’exploitation va expérimenter une nouvelle culture : le pistachier. D’ici sept ans, les premières plantations devraient arriver à maturité.