Le 15 janvier, à Pougues-les-Eaux, lors de la cérémonie des vœux de Cerfrance Alliance Centre, une conférence était proposée sur le management intergénérationnel.

Comme tous les ans, Cerfrance Alliance Centre organise une conférence sur un thème spécifique afin d'animer la cérémonie des vœux. Après l'innovation l'an dernier, ce fut au tour du management intergénérationnel d'être choisi pour 2025 lors de la conférence du 15 janvier à Pougues-les-Eaux. Ainsi, c'est Élisabeth Soulié, anthropologue, coach et spécialiste de la génération Z qui fut conviée pour décliner l'axe « Connectons les générations ». Pour introduire son propos, Caroline Laizeau, directrice générale de Cerfrance Alliance Centre, détaille : « La génération Z (personnes nées entre 1997 et 2010) commence à arriver sur le marché du travail et bouscule un peu les codes, par leurs envies, besoins et leurs attitudes. Il nous semblait donc important de la comprendre pour essayer de les attirer, de les fidéliser ou de leur donner envie de revenir dans vos structures professionnelles agricoles, notamment ».
Élisabeth Soulié poursuit : « cette génération a des coutumes et des comportements qui nous inquiètent, nous interrogent et parfois nous agacent, car elle est en rupture avec nous. Cela s'explique par le fait que la génération Z soit la première née avec le numérique n'ayant donc pas connu le monde d'avant. Leur manière de penser, d'appréhender le temps, l'espace, les gens ou la hiérarchie est donc construite avec cette culture du digital. Avec eux, nous sommes dans un changement d'ère et les crises qu'elles soient économiques, géopolitiques, sanitaires ou écologiques sont des manifestations de cette mutation. Ce chamboulement a des conséquences partout, notamment dans les entreprises ». Afin d'en apprendre un peu plus sur cette génération, Élisabeth Soulié revient sur ses différentes études terrains, en Bretagne et en Région Parisienne notamment.
Trois piliers
« Au travers des études terrain que j'ai pu mener, trois notions définissent cette génération : nomade, tribale, affective. En effet, les jeunes Z ont une grande capacité d'adaptation indéniable. Régie par un temps digital allant extrêmement vite, elle cherche toujours à capter la bonne opportunité – via notamment l'addiction aux notifications. Évoluant dans un monde très spontané, elle est dans la satisfaction immédiate de ses désirs car pour elle, c’est l'instant présent compte. Cela a donc un impact pour les entreprises, car l'attente d'une évolution de carrière n'est plus un graal à atteindre. Ce qui importe pour les jeunes Z c'est de s'enrichir instantanément (pécuniairement ou en connaissances), ils sont donc dans le mouvement permanent pour atteindre cela. De ce fait, ils s'ennuient vite et recherchent une mobilité constante sans rigidité. Au quotidien, pour qu'un Z soit heureux, il lui faut une pluralité de tâches et de manière de travailler (bureau, télétravail, déplacement, coworking, etc.). Il attend également que l'entreprise le fasse grandir en tant que personne, car il y a une porosité entre le monde professionnel et personnel. Quand la génération Y cherchait un équilibre entre les deux, la génération Z veut, elle, une harmonisation. C'est là que l'on retrouve la notion de tribalité, insufflée par les réseaux sociaux et les communautés digitales, avec la création d'un véritable collectif voulant vivre ensemble (même si les sphères sont digitales), avec l'envie de partager et d'apprendre des expériences de chacun. Nous ne sommes plus avec la loi des pères mais bien celle des pairs. Cette génération valorise la collaboration et non l'ordre descendant d'une hiérarchie conique. Cette vision a d'ailleurs eu des conséquences sur nos modes de vie et nos économies avec la prolifération de certains éléments comme le covoiturage, le cofounding, le coworking… Via cette volonté de sortir du « je » pour aller vers le « nous », l'affect prend donc une grande place, car les Z ne sont plus des individus interchangeables mais bien des personnes uniques, ceci engendre une vulnérabilité chez les Z. Cet attachement à l'émotion est d'ailleurs flagrant dans la recherche du « like ou j'aime » sur les publications… les émotions, via les outils digitaux, deviennent virales avec l'ampleur que peuvent prendre certains contenus. L'important restant toujours ce qu'ils ressentent à l'instant T ».
Une confiance à accompagner
Après avoir mis en lumière ces trois piliers constitutifs de la génération Z, Élisabeth Soulié fit le lien avec le monde professionnel : « cette génération est en quête de sens. Les jeunes interrogés me disent souvent qu'ils n'ont pas l'utopie de vouloir changer le monde, mais s'ils peuvent être utiles localement, et avoir un impact sur leur environnement direct, ils seront heureux. Ces nouvelles aspirations professionnelles offrent des possibilités que ce soit pour l'artisanat ou les métiers agricoles, si le sens du collectif (comme le bien manger) et les retombées concrètes sont mis au centre des préoccupations. Par tous ces biais, la génération Z met à mal l'organisation dont nous avions l'habitude, et met au tapis toute la construction de la modernité. Maintenant, avec ces éclairages, à vous, chef d'entreprise ou chef d'exploitation d'envisager vos recrutements et vos postes différemment ». Suite à son exposé, un moment d'échange fut proposé où de nombreuses questions furent soulevées ; démontrant l’intérêt et le questionnement du public face à cette génération Z. Les discussions se développèrent notamment autour du recours à l'intelligence artificielle au détriment de l'étoffement des compétences ou encore de la distinction entre le vrai et le faux. Sur ces points, Élisabeth Soulié insiste : « l'éducation au sens large a un rôle extrêmement important pour la génération qui suit les Z car il n'y a plus de recherches. L'enjeu de demain sera de leur offrir cette éducation au numérique afin qu'ils puissent se faire leur propre opinion au travers de leur réflexion intellectuelle ». Au final, la crainte pour les générations futures est donc que leurs esprits critiques se diluent à défaut d'être effervescents. Et, ils auront finalement peut-être besoin des « anciens » pour les épauler dans cette recherche – non pas du temps perdu – mais de leur pensée libre construite sur les bases d'un discernement éclairé. Élisabeth Soulié conclut sur une citation de Simone Veil (1927-2017) : « Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême ». (1)
1. Extrait du discours de Simone Veil, ministre de la Santé, lors de l'ouverture du débat, à l'Assemblée nationale, le 26 novembre 1974, sur le projet de loi autorisant l'IVG. Pour réécouter son discours en intégralité : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/audio/phl10002195/discours-de-simone-veil-sur-l-ivg-a-l-assemblee-nationale