Entretien
Pascal Jan, préfet de l'Yonne, se livre sur les principaux sujets agricoles
Les retards de paiement des aides PAC, l’application de la loi Égalim, les dégâts de sangliers, les attaques sur troupeaux liées à la prédation, les actions syndicales successives depuis novembre dernier, l’eau… Pascal Jan, préfet de l’Yonne, a accordé un entretien exclusif à Terres de Bourgogne pour répondre à toutes nos questions sur les grands sujets qui alimentent l’actualité agricole du moment.
Au contact du monde agricole.
Depuis sa prise de fonction le 4 avril 2022, Pascal Jan, préfet de l’Yonne, a été à de nombreuses reprises à la rencontre des acteurs du monde agricole. « J’y suis allé pour les soutenir, quand il y avait des épisodes de crise climatique, mais aussi pour visiter leurs exploitations, afin de comprendre les difficultés auxquelles ils sont confrontés, en termes de travail, de vente de produit, de production », confie-t-il.
Des rencontres dans l’Yonne, mais aussi à Paris, lors du salon international de l’agriculture. À noter que Pascal Jan est le premier préfet icaunais à avoir fait le déplacement dans la capitale pour rencontrer les producteurs de son territoire. « En tant que préfet, cela me permet de valoriser les produits du terroir. C’est aussi l’occasion de discuter avec un certain nombre d’éleveurs et de producteurs en dehors de leurs exploitations ».
Les mobilisations des agriculteurs.
Entre novembre et fin février, les mobilisations des agriculteurs, orchestrées par la FDSEA et les JA de l’Yonne, se sont succédé. Le gouvernement français et l’Europe étaient ciblés, avec ce fameux slogan : « On marche sur la tête ». En tant que représentant de l’État dans l’Yonne, Pascal Jan a forcément connu une période mouvementée. « Lors d’événements comme ceux-là, on les vit déjà comme quelqu’un qui est chargé de la sécurité des personnes et des biens sur la voie publique. Cela a suscité énormément de travail de la part de mes équipes. Ensuite, il y a un regard qui est porté, celui de se demander : comment faire en sorte que les agriculteurs puissent trouver des réponses à la hauteur de leurs espérances, sachant qu’un préfet a un rôle limité, notamment sur les normes. Par rapport aux revendications qui étaient portées, beaucoup relevées à la fois de l’Union Européenne, qui a répondu, du gouvernement français, voire du parlement. Dans la marge de manœuvre qui est laissée aux préfets, qui a été renforcée (par le Premier Ministre Gabriel Attal) pour changer un certain nombre d’arrêtés, j’ai pu faire des modifications concernant deux aspects. Le premier, qui avait donné lieu a des revendications assez fortes au niveau régional, c’est la tenue des contrôles des agriculteurs. Des comportements de certains contrôleurs avaient été dénoncés, ce que j’ai pris en compte en proposant de généraliser des questionnaires de qualité sur les modalités du contrôle opéré. Cela va devenir systématique lors des contrôles. Les agriculteurs devront remplir ces questionnaires, qu’ils transmettront aux services de l’État, sans que ceux-ci passent entre les mains du contrôleur, avec pour idée d’améliorer la qualité des contrôles ».
Le deuxième aspect concerne le temps administratif. « Beaucoup d’agriculteurs dénonçaient la complexité administrative. Mais au-delà de cette complexité, c’est surtout le temps passé à la partie administrative que les syndicats agricoles dénonçaient, qui représentent, selon eux, 15 à 20 % de leur temps de travail. Et le temps, c’est de l’argent. Pour améliorer la productivité, le but est donc de limiter le temps consacré aux charges administratives ».
Ainsi, plusieurs arrêtés préfectoraux ont été modifiés : un sur la destruction de l’ambroisie qui précise que le désherbage chimique est autorisé dans certaines conditions, un autre sur l’intégration des ceps de vigne dans l’arrêté brûlage, un dernier sur l’encadrement du fermage agricole qui a pour objectif de déployer une charte graphique plus récente visant à faciliter la lecture et intégrer des montants de fermage relatifs aux serres et aux centres équestres qui ne figuraient pas dans le précédent arrêté.
Le paiement des aides PAC.
C’est l’un des grands sujets abordés lors des actions syndicales des agriculteurs : le retard de paiement des aides PAC qui mettent à mal les trésoreries de bon nombre d’agriculteurs. À ce sujet, Pascal Jan affirme que « plus de 90 % des aides PAC 2023 ont été versés. Ceux qui restent encore à payer sont liés essentiellement à l’agriculture biologique. Ces retards de paiement sont dus à la fois à la charge de travail des services, mais aussi à la qualité des dossiers qui ont été transmis. Il faut savoir qu’un dossier incomplet est un dossier retardé. Les services ont tout fait pour payer en temps et en heure ces aides PAC mais tous les dossiers n’étaient pas forcément complets et donc pas éligibles. Normalement, tout sera payé d’ici le 15 juin », assure le préfet.
Interrogé sur de possibles indemnisations pour compenser ces retards de paiement, Pascal Jan a répondu que « rien n’était prévu à ce sujet ».
À noter que pour cette année 2024, la FNSEA a obtenu un délai supplémentaire pour la déclaration des dossiers PAC, possible jusqu’au 24 mai inclus (contre le 15 mai habituellement), sans risque de pénalité de retard. Cela se justifie par le fait que de nombreux dossiers PAC ont pu être ouverts avec trois semaines de retard, que des difficultés de connexion à la plateforme Télépac ont une nouvelle fois été constatées, et que les retards dans les semis liés aux aléas climatiques ont entraîné des décalages dans les calendriers de déclarations PAC. Ce délai supplémentaire permet donc aux agriculteurs et à ceux qui les accompagnent dans leurs démarches de s’acquitter sereinement de cette formalité et sans risque de pénalité de retard.
L’application de la loi Égalim.
C’est l’autre grand sujet des mobilisations des agriculteurs. Concernant l’application de cette loi, le préfet rappelle que, « dans l’Yonne, on a une particularité : la loi Égalim ne s’applique pas à la production avicole, pour une raison simple, les producteurs de volaille sont liés par contrat avec Duc (groupe Plukon). Concernant les autres productions, il y a effectivement un travail de contrôle mettre en place, même s’il y a très peu de contractualisations ».
La loi Égalim intègre une obligation du respect des labels pour la restauration collective, comme le bio, le label rouge, les signes officiels de qualité, la consommation de produits locaux… « Cette question est travaillée par les intercommunalités à travers les PAT. Pour le moment, on n’a pas une vision précise des choses car c’est très déconcentré. Si on prend l’exemple de la restauration scolaire, elle dépend de l’éducation nationale et plus précisément du gestionnaire. On n’a pas forcément la main dessus. Toute la stratégie depuis le mois de juin, c’est de faire en sorte que les collectivités, l’éducation nationale et la préfecture fassent en sorte que les responsables des cantines soient convaincus par le circuit court ».
Les attaques sur troupeaux liées à la prédation.
C’est l’un des points chauds de l’actualité agricole du moment. Entre le 25 et le 29 avril, quatre élevages ont été victimes de prédation, dans un secteur à cheval sur l’Avallonnais et le Tonnerrois. Au total, 29 animaux (28 ovins et une génisse), ont été tués. Pascal Jan rappelle que les agents de l’OFB se sont montrés « très réactifs ». « Il y a une compréhension de l’impact psychologique des attaques faites sur les troupeaux, quand bien même ce ne serait pas le loup (selon nos informations, le loup a été non exclu dans deux cas, sur l’attaque qui a occasionné la perte de 25 brebis à Provency et sur l’agneau tué à Châtel-Gérard ; la cause est indéterminée pour les deux moutons tués à Massangis ; la piste du loup a été exclue pour la génisse retrouvée morte à Cisery, ndlr). Il y a un an, j’avais demandé à la directrice régionale de l’OFB de modifier certains éléments dans les constats, notamment lorsque l’origine de la mort était indéterminée, chose qui n’est pas compréhensible pour les éleveurs. L’OFB peut désormais donner des indications sur la mort de l’animal sur son constat. Il y a une volonté de la part de l’OFB et de l’État de manière générale d’être le plus transparent possible avec les éleveurs ».
Interrogé sur la possibilité d’autoriser les tirs pour éliminer le loup, le préfet s’est montré clair : « Pour le moment, non, je n’envisage pas. C’est une décision qui doit se prendre, ou non, au vu d’un certain nombre de rapports d’expertises. Le Plan loup assoupli déjà certaines règles notamment sur les tirs simples de défense. De plus, on estime qu’il y aurait un à deux loups dans l’Yonne. Aussi, il faut savoir que le loup est une espèce protégée par un engagement international. De plus, on estime qu’il y aurait un à deux loups dans l’Yonne ».
Le préfet rappelle qu’à son arrivée dans l’Yonne, il avait pris une décision concernant les indemnisations en cas d’attaque : « dès lors qu’il y a un doute, il profite à l’éleveur avec une indemnisation. Cela n’enlève pas le choc psychologique que peut représenter une attaque, ni la perte économique, qui est relativement amoindrie par l’indemnité, mais c’est une mesure qui tend à créer un climat de compréhension. L’idée a toujours été d’engager une discussion franche, directe, avec les éleveurs, toujours en mettant les choses en perspective et en essayant de proposer des solutions à court et moyen terme ».
La mise sous tutelle de l’OFB.
À propos de l’OFB, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait évoqué, en mars, une mise sous tutelle de l’OFB au niveau départemental. « L’OFB a une direction régionale par qui elle reçoit un certain nombre d’orientations. Mais le délégué départemental de l’OFB est le préfet, qui lui fixe son plan d’actions », explique Pascal Jan. « Dans l’Yonne, l’OFB est pleinement associé aux contrôles administratifs et judiciaires, c’est-à-dire que les relations entre le procureur de la république, le préfet et l’OFB sont fluides. Cette tutelle évoquée par le Président de la République serait pour renforcer sa volonté que les préfets soient les « patrons » des départements, donc de tous les services de l’État qui y travaillent, ce qui est le cas de l’OFB. Pour l’heure, cela a juste été évoqué, rien ne change. Cela pourrait être un changement important si des dysfonctionnements étaient constatés, ce qui n’est pas le cas dans l’Yonne ».
Les dégâts de sangliers.
S’il y a bien un sujet sensible, c’est celui-ci. Pascal Jan informe qu’une battue administrative a récemment eu lieu, le 21 avril, à Bussy-en-Othe. Il confie toutefois que « les battues administratives sont moins efficaces que les tirs de nuit, elles ont surtout un effet psychologique, mais faut-il encore trouver des chasseurs. Les louvetiers peuvent désormais tirer de nuit, le problème est qu’il n’y en a pas assez ».
L’incompréhension entre les agriculteurs et les chasseurs se fait très souvent ressentir. Ainsi, « pour marquer notre volonté de lutter contre ce fléau, j’ai réuni les chasseurs, les agriculteurs, les louvetiers et les services de la DDT, pour déterminer ensemble des actions communes. Ce qui m’intéresse c’est de faire en sorte qu’il y ait une cohabitation intelligente entre les différentes parties. Il y a cette volonté que les agriculteurs puissent avoir une reconnaissance pour tirer les sangliers sur une bande proche. Le schéma cynégétique est en train d’être revu de manière co-construit. Il est prévu qu’il soit terminé pour la fin d’année ou le début de l’année prochaine. J’espère qu’on va arriver à mettre en place quelque chose car c’est un problème qui dure depuis plusieurs décennies, qui s’amplifie dans l’Yonne comme ailleurs ».
Plusieurs pistes sont envisagées, comme le fait d’autoriser les agriculteurs non-propriétaires des terres qu’ils exploitent à pouvoir tirer le sanglier sur ces dites parcelles, sous réserve d’avoir un permis de chasse et l’accord du propriétaire. Le préfet se dit « optimiste » pour trouver une issue positive à cette proposition.
Selon lui, 1,9 million d’euros d’indemnité suite aux dégâts de gibiers a été reversé aux agriculteurs sur la campagne 2023-2024.
La construction de projets agricoles.
On le sait, les agriculteurs sont (trop) souvent confrontés à l’intervention d’associations environnementales, voire aux néoruraux, lors d’un nouveau projet agricole, ces derniers voulant faire barrière. « La difficulté à laquelle sont confrontés les agriculteurs, lorsque cela va jusqu’à une action en justice, c’est que les procédures sont longues et chères. Par définition, ces actions en justice viennent dissuader les agriculteurs d’engager des frais, d’autant plus qu’ils ne sont pas certain d’obtenir gain de cause devant le juge. La solution ne se trouve donc pas au niveau départementale mais au niveau législatif. Ce qu’il faudrait, pour les agriculteurs, c’est une réforme législative visant à raccourcir les délais de contentieux pour le rendu de la décision. On pourrait aussi imaginer que lorsqu’une association attaque et qu’elle perd, elle doive rembourser totalement les frais d’avocat engagés par la partie adverse. On pourrait aussi imaginer qu’il y ait des indications pour permettre au juge de condamner financièrement au profit d’un agriculteur ou d’une coopérative dès lors que le juge considère que c’est une action abusive ».
Pascal Jan rappelle que, dans l’Yonne, « un schéma stratégique départemental des ENR existe. Cela veut dire que les projets agricoles, comme peut l’être l’agrivoltaïsme, sont considérés comme une priorité en termes de développement des ENR dans le département. Jusqu’à présent il y avait la charte de la Chambre d’agriculture (sur l’agrivoltaïsme). Celle-ci doit désormais se mettre en conformité avec le décret récent et ce schéma stratégique départemental ».
L’eau, sa priorité.
Lors de son arrivée dans l’Yonne, Pascal Jan avait fait du sujet de l’eau sa priorité. Un séminaire a été organisé en juin 2023 par la préfecture sur cette thématique, « qui a eu le mérite de fixer les choses et de pointer les problématiques à venir », assure-t-il. « La Chambre d’agriculture, à travers son président Arnaud Delestre, s’était beaucoup impliquée dans ce séminaire. Cela montre que les agriculteurs et les représentants du monde agricole sont bien conscients que la gestion de l’eau ne se fait pas au coup par coup mais à court, moyen et long terme. Mais d’une manière générale, pas seulement d’un point de vue agricole, je constate, depuis plus d’un an, que la notion de sobriété hydrique a été intégrée même en dehors des périodes de sécheresse ».
Depuis la fin de l’année 2023, les pluies sont fréquentes, voire constantes, avec quel résultat pour les nappes phréatiques ? « Aujourd’hui, elles sont remplies très correctement. Cela veut dire que s’il y a une sécheresse, les réserves en eau atténueront son intensité. Mais ce n’est pas parce qu’il pleut depuis le mois de novembre qu’une sécheresse ne peut pas arriver », prévient-il.
Régulièrement, le monde agricole icaunais fait part de sa volonté de mettre en place des retenues d’eau. « C’est une demande parfaitement légitime, une retenue d’eau peut aussi servir en hiver lorsque l’eau est limitée, pas simplement pour passer l’été », répond le préfet. « Le sujet n’est pas tant la retenue d’eau mais la dimension de la retenue d’eau. Les petites, concertées, ne posent normalement pas de difficulté. Je n’ai pas d’a priori défavorable sur les retenus d’eau de taille modeste. Une taille raisonnable ? Cela dépend des besoins de ceux qui le sollicitent. L’idée n’est pas d’avoir des méga réservoirs qui viennent puiser dans les nappes phréatiques, il faut rester modeste et que cela soit proportionné à l’usage qu’on va en faire. La règle est celle-ci : celle de la proportionnalité, où il n’y a pas d’abus, pas d’excès, qui soit contrôlable ».
L’agenda rural.
Si ce n’est pas un sujet agricole à proprement dit, nous souhaitions toutefois faire un point sur l’agenda rural, un dossier conjointement porté par le préfet et la précédente sous-préfète d’Avallon, Naïma Ramalingom (son successeur Sébastien Hennon en a désormais la charge). « L’agenda rural a officiellement été lancé en février 2024, à Châtel-Censoir », indique Pascal Jan. « On pourrait définir cela comme un plan d’attaque réfléchi en lien avec les vraies problématiques du territoire. Il y a trois orientations : habiter en ruralité, travailler en ruralité et s’épanouir en ruralité. Au total, ce sont 18 mesures qui sont en lien avec des objectifs qui correspondent aux attentes des élus et des administrés. Ces 18 mesures, les élus doivent se les approprier et communiquer dessus. Il y a un vrai travail fait avec les élus locaux. Aussi, il y a une cohérence de l’ensemble des mesures. On a mis, dans ce plan, des mesures sur lesquelles on a déjà insisté en ruralité. Je prends l’exemple du plan de sécurité de proximité. Le but est de redéfinir la présence de gendarme sur le territoire, en matière de prévention, d’actions et de répression. Autre exemple : les addictions. Il y a un plan national sur le sujet mais il n’y a aucun item en ruralité. On est en train d’élaborer une sorte de maquette sur les addictions en ruralité, en particulier sur les questions liées à l’alcool. On espère mettre en place un observatoire départemental des addictions sur la ruralité, qui serait le premier en France, à l’horizon 2025. Ce serait à titre expérimental. L’idée, si ça marche, c’est de le dupliquer dans d’autres territoires concernés par cette problématique. L’objectif est d’avoir des données, beaucoup plus fiables de ce que l’on a aujourd’hui, beaucoup plus précises, pour mettre en place des actions concrètes de lutte contre les addictions ».