Changement climatique
Adapter les chèvreries aux fortes chaleurs
Fin octobre, un groupe d’éleveurs caprins de Saône-et-Loire était réuni à Chissey-les-Mâcon pour une cinquième journée dans le cadre du projet Cap’Climat Territoires. Le thème de cette réunion technique était l’adaptation des bâtiments caprins aux fortes chaleurs.

« En 1995, on faisait des bâtiments pour abriter les animaux du froid en hiver ; aujourd’hui, ces bâtiments doivent les protéger des fortes chaleurs en été », résumait Sylvain Chopin dont l’exploitation accueillait le groupe. De fait, le changement climatique tend à rendre obsolète certaines préconisations passées. C’est par exemple le cas pour le fameux effet cheminée utilisé pour la ventilation naturelle. L’air frais entre par les côtés, puis se réchauffe au niveau des animaux avant d’être aspiré vers le haut où il ressort à travers le faîtage. Mais avec une toiture très chaude en été, la sortie d’air par le haut n’opère plus. « Mieux vaudrait alors un effet vent par lequel l’air entrerait d’un côté pour ressortir de l’autre à travers le pan de mur opposé », expliquait Morgane Lambert, de l’Institut de l’Élevage. À elle seule, une chèvre émet 1,7 litre d’eau par jour dans l’atmosphère. « Un mauvais renouvellement d’air entraîne une augmentation de l’humidité, mais aussi du CO2 et de l’ammoniaque et favorise le développement du microbisme », indiquait l’experte.
Le stress thermique commence dès 20-25 °C
Les effets du stress thermique sont nombreux : baisse de la production, des taux, du bien-être, de la fertilité, de l’ingestion de fibres et d’eau… Le stress thermique se manifeste aussi par une mauvaise répartition des animaux dans le bâtiment : augmentation de la compétition autour des abreuvoirs, baisse de motivation au moment des repas, moins de déplacements. Ces changements de comportement entraînent concentration des déjections, risques accrus de maladies… Les chèvres incommodées par le stress thermique halètent et leur fréquence respiratoire s’accélère. « Chez les ruminants, le rumen est un peu comme un radiateur, ce qui les rend particulièrement sensibles au stress thermique. Une chèvre se retrouve en stress thermique dès que la température atteint 20-25 °C ce qui est très fréquent », souligne Caroline Sauvageot, animatrice du projet Cap’Climat Territoires à l’Idele.
Quatre paramètres d’ambiance
Le stress thermique ne dépend pas que de la température. Dans un bâtiment, quatre paramètres d’ambiance sont impliqués dans le stress thermique. « Il y a aussi l’humidité, la vitesse de l’air, les rayonnements (directs et indirects) », énumère Morgane Lambert. Il existe un indicateur chiffré qui prend en compte ces quatre paramètres. Il s’agit du HLI (Heat Load Index). Plus facile à calculer, le THI (Temperature Humidity Index) n’intègre que la température et l’humidité. Outre ces deux index scientifiques, le stress thermique peut être détecté en observant la répartition des animaux dans le bâtiment. Leur position est aussi révélatrice. Les caprins incommodés par le stress thermique ont tendance à rester débout ou assis, cherchant à surélever le poitrail. Des animaux qui halètent avec la bouche ouverte sont le signe d’alerte ultime.
Abreuvement, densité, places au cornadis
Le projet BatCool, porté par la Chambre régionale d’agriculture d’Occitanie et copiloté par l’Institut de l’Élevage et la chambre d’agriculture de l’Aveyron, s’est appuyé sur l’expertise d’une soixantaine de bâtiments caprins et ovins sur la moitié sud de la France. Température et humidité y ont été enregistrées en continu. Des cartographies de confort thermique intégrant les vitesses d’air et les rayonnements ont été établis dans chaque ferme. Un suivi de troupeau avec score de halètement et données de production a été effectué dans les fermes expérimentales… « Ces travaux ont permis d’établir des recommandations d’aménagements des bâtiments face aux fortes chaleurs », présentait Morgane Lambert. Les premières recommandations à respecter concernent l’abreuvement qui doit permettre un accès aisé et illimité à l’eau. « Les abreuvoirs individuels à pipette sont à éviter et c’est bien d’avoir quelques bacs d’abreuvements collectifs (à réserve) », débute Morgane Lambert. On recommande un abreuvoir individuel pour 20-25 chèvres et un bac en sortie de traite en plus est l’idéal. En termes de densité des animaux, il faut compter entre 1,65 et 2 mètres carrés par chèvre. Le manque de place augmente le risque que des chèvres se couchent aux endroits les moins confortables. Au cornadis, c’est 33 cm par animal et il faut disposer d’une place à l’auge par chèvre.
La chasse aux rayonnements solaires
Pour prévenir le stress thermique dans un bâtiment, il faut en priorité faire la chasse aux rayonnements du soleil à l’intérieur des aires de vie. Les premières accusées sont les tôles translucides qui, en même temps qu’elles laissent passer la lumière, provoquent une augmentation des températures à l’intérieur de l’ordre de 0,7 °C par rapport aux bâtiments qui n’en disposent pas, « ce qui est énorme », relève l’experte. « Aujourd’hui, on recommande de privilégier l’apport de lumière par les côtés », indique l’intervenante. « Les translucides de toit peuvent être repeints en blanc, de préférence de l’intérieur », conseille-t-elle. L’autre source de rayonnement réside dans de grandes ouvertures au sud et à l’ouest laissant entrer le soleil jusque sur les aires paillées. Outre le fait de surchauffer l’aire de vie, l’entrée du soleil crée des contrastes lumineux que les animaux détestent. Un des moyens les plus efficaces de remédier à ce type de rayonnement, c’est de créer des débords de toiture au sud. Ces débords sont très efficaces, sachant que c’est un long pan exposé sud-ouest qui réchauffe le plus un bâtiment.
Rien de tel qu’une bonne ventilation naturelle
Dans la lutte contre le stress thermique, la ventilation n’intervient qu’après avoir réglé les problèmes de rayonnements. La ventilation naturelle est la meilleure et doit être optimisée dès la conception du bâtiment en limitant les largeurs et les volumes. Il faut également bien dégager les façades et ouvrir totalement les façades et les faîtières — pare pluie protégeant des intempéries. Il existe aujourd’hui des bâtiments totalement ouverts, façon parasol. L’idéal est néanmoins de privilégier les solutions modulables pour s’adapter à tous les climats avec, par exemple, des longs pans ouverts équipés de rideaux enroulables ou de type ascenseurs. « Sur des bâtiments existants, certains éleveurs ont fait le choix d’ajourer les bardages en retirant des planches ou en créant des volets ouvrants », signalait Morgane Lambert.
Solutions de secours…
« La ventilation mécanique est une solution de secours qui apporte du confort aux animaux, mais elle ne fait pas de miracle », poursuit l’experte. Quant à la brumisation, elle ne doit intervenir qu’en dernier recours, « à condition que le bâtiment soit irréprochablement ventilé », complète-t-elle en rappelant qu'elle ne fait pas baisser la température.
Parmi les autres grands enseignements de cette journée, il faut avoir à l’esprit que « l’isolation n’empêche pas la chaleur de rentrer », recadre Morgane Lambert. « Elle a seulement un pouvoir tampon » qui fait que la chaleur est décalée dans le temps ce qui permet d’atténuer les amplitudes thermiques. La végétalisation des abords de bâtiments est également une piste pour lutter contre les rayons du soleil, « à condition de ne pas gêner la ventilation naturelle ».
Gaec de la Trufière : les fortes chaleurs estivales imposent de nouvelles adaptations
Créé en 1995 par Sylvain Chopin, le Gaec de la Chèvrerie de la Trufière compte aujourd’hui quatre associés pour 120 chèvres. Le bâtiment d’origine a été modifié en 2019 avec l’objectif de créer des espaces pour les chevrettes et une nurserie ainsi que d’isoler la structure contre les fortes chaleurs estivales. La chèvrerie a été rallongée de deux travées et le couloir central de 3 m remplacé par un tapis d’alimentation automatisé prenant beaucoup moins de place et simplifiant le travail. À l’avant du bâtiment, un espace est dédié à une nurserie amovible et modulable. Un autre espace est prévu pour les chevrettes d’élevage. Cette réorganisation a aussi permis de créer une aire d’attente pour la salle de traite.
Le plafond a été isolé avec de la laine de bois recouverte de panneaux en particules de bois. Sur les deux longs pans de la chèvrerie, des translucides perforés assurent l’entrée d’air qui ressort au faîtage à travers un support de lanterneau spécifique qui assure la ventilation par « effet cheminée » et la clarté à l’intérieur de la chèvrerie. La partie basse des murs de la chèvrerie a été doublée avec des panneaux de bois. Toutes ces transformations ont été profitables. La température a pu être abaissée en été et les conditions de travail sont bien meilleures pour les éleveurs. Mais aujourd’hui, les associés aimeraient améliorer encore la gestion de la ventilation, car les parois perforées ne suffisent plus en période chaude. Et ils voudraient aussi abaisser le rayonnement à l’intérieur de la chèvrerie.
