Betteraves
« La betterave jouera son rôle de stabilisateur du revenu »
Cyril Cogniard, président de la CGB Champagne Bourgogne et planteur dans les Ardennes, répond aux questions de nos confrères de La Marne Agricole, avant la Foire de Châlons-en-Champagne où une conférence sera dédiée aux politiques agricoles.
Quel regard portez-vous sur les manifestations agricoles qui ont marqué ce début d'année 2024 ?
Cyril Cogniard : « En tant que représentant du monde agricole, je voyais grandir le malaise, l’incompréhension des agriculteurs face à la surréglementation, à la suradministration, et au verdissement à marche forcée. La cocotte-minute, longtemps restée sous pression, a explosé. Les agriculteurs ont crié leur colère, leur incompréhension et même leur angoisse. Le Green Deal et ses politiques décroissantes, la jachère, l’écologie politique radicale qui culpabilise tout acte de production, les injonctions contradictoires des consommateurs, le manque de reconnaissance envers les exploitants agricoles et les progrès réalisés ces 20 dernières années, ainsi que la mise en concurrence déloyale au sein même de l’Europe, ont essoré nos agriculteurs. Pas seulement les Français, mais tous les agriculteurs européens ! Ils ont dit « STOP ».
Portées par un véritable élan collectif (tous les syndicats, dans toute l’Europe avec un accompagnement médiatique sans précédent), ces mobilisations ont provoqué un électrochoc, qui a permis de faire bouger les lignes. Rien n’est jamais acquis, mais la reconnaissance du caractère stratégique de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, la simplification de la Pac, l’abandon du règlement SUR européen, la fin de la jachère obligatoire, sont autant de victoires nées de la mobilisation.
Des discussions très positives et constructives ont suivi ces manifestations. Mais de trop nombreux chantiers ouverts ne sont pas finalisés. De plus, la crise politique française que nous vivons n’aide pas à la concrétisation des engagements du gouvernement de Gabriel Attal. La tentation politique est de s’aider du temps qui passe, pour faire oublier les promesses…
C’est pourquoi, la FNSEA, les JA, la CGB et les agriculteurs doivent maintenir la pression et veiller à l’application de la parole donnée. À défaut, on ne peut exclure de nouvelles mobilisations ».
Que retenir de la campagne 2023 ?
C.C : « La campagne 2023 a renoué avec la rentabilité, et redonne de l’élan à notre filière. Cela était nécessaire après les crises à répétition que nous avons subies ces dernières années et au regard de la très forte augmentation des charges agricoles (structure et opérationnelle), de + de 35 % en trois ans, avec un point haut en 2023, à 3 050 €/ha en moyenne.
Il y a eu une équation gagnante : marchés porteurs, rémunération en forte augmentation à + /- 50 €/t et rendements moyens très corrects pour notre région. Les conditions de récolte et de chargement des betteraves ont néanmoins été très difficiles à partir du 15 octobre ; ce qui a généré des tensions sur l’approvisionnement des usines, néanmoins bien gérées par des décisions adaptées comme la levée de l’accord tare terre.
Cette rentabilité retrouvée est une excellente nouvelle pour le revenu des agriculteurs dans un contexte de marchés céréaliers très bas. C’est aussi un atout pour la santé financière de nos outils coopératifs, et pour investir massivement dans la décarbonation de l’industrie sucrière, qui sera un enjeu capital des dix prochaines années ».
Quelles sont vos prévisions pour 2024 ?
C.C : « Pour la campagne 2024, l’implantation a plutôt été chaotique avec les conditions pluvieuses de ce printemps, ne laissant que de minces fenêtres favorables aux semis, et entraînant globalement des retards d’au moins trois semaines. Ce retard de semis entame inévitablement le potentiel, car les jours perdus ne se rattrapent pas. Certaines parcelles ont aussi subi de très forts épisodes pluvieux nécessitant parfois des ressemis et/ou laissant en place des populations altérées.
La jaunisse est maîtrisée, au moins dans la région, grâce à une pression pucerons limitée durant le printemps. Il nous faut être vigilants sur la cercosporiose et autres maladies très présentes avec les conditions orageuses permanentes.
La plaine betteravière est verte et belle, mais il faut maintenant du soleil et de la chaleur. C’est bien d’avoir de belles feuilles, mais il faut qu’elles servent à faire de la racine et du sucre.
Quant aux prix, même si les marchés sont nettement moins favorables que lors de la campagne 2023, à date, ils laissent néanmoins entrevoir une rémunération intéressante. Des prix autour de 40 €/T ont été annoncés lors des assemblées générales de nos groupes sucriers. À date, ce prix est parfaitement atteignable, mais il reste encore plusieurs mois de commercialisation pour le confirmer définitivement.
Face à une moisson 2024 très mauvaise, voire dans certains secteurs catastrophique et pire qu'en 2016, la betterave jouera à nouveau son rôle de stabilisateur du revenu. Elle sera certainement l’une des cultures les plus rentables de l’exploitation et c’est une situation qu’il faut préserver pour l’avenir. C’est à ces conditions que l’on maintient durablement une industrie lourde sur notre territoire.
Quels sont les enjeux majeurs pour l’avenir de votre filière
C.C : « Le travail de la filière porte sur plusieurs axes majeurs. Tout d'abord, la performance agronomique : il faut défendre les moyens de production à notre disposition, faire avancer la recherche génétique, permettre l’accès aux techniques d’édition génomique, encourager les innovations sur l’agroéquipement, et faire évoluer les itinéraires techniques vers plus de résilience face aux aléas climatiques.
Vient ensuite, la performance économique de la culture : elle dépend de nos marchés (sucre France UE et monde, éthanol, pulpes), de notre capacité à gérer la volatilité mais aussi à protéger nos marchés des importations déloyales. La performance, l’agilité commerciale, industrielle de nos outils de transformation et enfin les décisions en matière de retours financiers de nos groupes font aussi partie de cette équation. Il faut également des surfaces suffisantes et stables, pour écraser les coûts industriels, sans créer de déséquilibres de marchés.
Enfin, il y a la décarbonation des pratiques agricoles et des process industriels. Les solutions se mettent en place, mais le changement de pratiques agricoles doit être accompagné financièrement, tout comme les investissements industriels.
De manière générale, il est nécessaire de promouvoir notre souveraineté alimentaire et ses ressorts : une agriculture compétitive, tournée vers le progrès, qui intègre les préoccupations environnementales et offre des solutions pour y répondre. Nous devons dialoguer avec nos responsables politiques, nos élus nationaux et européens, notre administration. Nous devons expliquer que l’agriculture française peut produire tout en offrant de fortes potentialités pour capter du carbone et lutter contre le réchauffement climatique ».
Quelle sera votre actualité à la Foire de Châlons cette année ?
C.C : « La Foire de Chalons reste l’évènement incontournable de la rentrée. Nous y sommes présents et actifs. C’est le lieu idéal de l’échange avec les agriculteurs, les partenaires de la filière, les professionnels de l’agriculture, les élus politiques, les services de l’État et le grand public. Il faut mesurer la vraie valeur de cette Foire Agricole et le savoir-faire de l’UCIA depuis tant d’années.
Il y aura deux formats pour cette édition « Foire 2024 ». Nous serons présents et accueillerons nos planteurs et visiteurs lors de permanences, sur un format « deux fois deux jours » : deux jours sur un stand au sein du pôle agricole et ferme, jeudi 5 et vendredi 6 septembre à côté de la luzerne et Vivescia ; deux jours, le dernier week-end, sur le stand Cultures Sucre bioéthanol, samedi 7 et dimanche 8 septembre.
L’autre temps fort sera notre conférence annuelle de la CGB Champagne Bourgogne, le mardi 3 septembre à 9 h 30, sur la Foire, Espace Jéroboam (chapiteau situé à côté du stand Vivescia), avec pour titre : « Après les nombreux évènements 2024, quelles politiques agricoles ? ».
Nous accueillerons Alessandra Kirsch (think tank « Agriculture stratégies, directrice générale associée) et Timothé Masson (service économie CGB, secrétaire général de l’Organisation Mondiale des producteurs de betteraves et de canne à sucre), et une synthèse et la conclusion sera faite par Hervé Lapie (secrétaire général FNSEA, président FDSEA 51) et Franck Sander (président de la CGB et vice-président FNSEA).
Cette conférence arrive à point nommé après les revendications agricoles du début d’année 2024, les bouleversements politiques actuels, le renouvellement de nos parlements européens et français, et dans la perspective des prochaines élections chambres d’agriculture. Quels enjeux agricoles ? Quels regards portés sur la situation ? Quelles feuilles de routes pour nos politiques agricoles ? Pour quels projets agricoles et betteraviers ? Avec quels interlocuteurs ? Avec quelles stratégies d’influence ? J’espère y rencontrer nombreux nos agriculteurs pour réfléchir avec nous à ces enjeux et partager notre vision. Il faut convaincre nos décideurs politiques de nous accompagner sur le chemin que nous traçons».