Prédation
Encore et encore...pour toujours ?

Chloé Monget
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Depuis le début de l'été, le nombre d'attaques sur troupeau dont la responsabilité du loup n'est pas écartée s'accumule dans la Nièvre. Témoignages de trois élevages.

Encore et encore...pour toujours ?
Deux brebis de Frédéric Lajoinie, ayant dû être euthanasiées. Crédit photo : Frédéric Lajoinie.

Entre Magny-Cours, Coulanges-lès-Nevers, Saint-Parize-le-Châtel, Mars-sur-Allier et Saint-Pierre-le-Moûtier, les attaques sur troupeau dont la responsabilité du loup n'a pas été écartée (LNE) s'empilent… Pour entrevoir ces dernières, voici le témoignage de trois élevages.


Frédéric Lajoinie (Saint-Parize-le-Châtel), 2 attaques LNE : 19 tuées, 19 blessées, 3 euthanasiées, 1 disparue.

« La première attaque LNE a eu lieu le 20 septembre, avec 17 brebis tuées, une disparue et huit blessées. La seconde attaque LNE s'est déroulée le 9 octobre, avec deux tuées, trois euthanasiées et 11 blessées. Je n'aurai jamais cru que je verrais de la prédation dans notre secteur aussi tôt. Et franchement, ça fait mal. Normalement, elles sont tout le temps dehors, mais là je dois les rentrer, ce que mes brebis n'apprécient pas forcément, d'autant que les bâtiments ne sont pas adaptés puisque mon système n'a pas été pensé pour cette pratique. Les conséquences sur la reproduction se feront voir dans quelque temps – et je ne parle pas de perte génétique qui n'est pas quantifiable. En attendant, il y a la perte sèche des animaux morts, les frais vétérinaires et le temps passé à les rentrer et les sortir… et à s'inquiéter. Je suis la loi, si je dois enlever des haies pour installer des clôtures électriques, pourquoi pas, mais je ne vois pas bien où est la protection de l'écologie dans tout cela. Deux mondes se confrontent, celui du terrain et celui des textes… En plus, nous n'avons pas d'informations sur le nombre de loups, leur manière de fonctionner ici, on ne sait rien. Par-dessus tout cela, nous avons toutes les pressions sanitaires (MHE, FCO, etc.). Pour les jeunes qui veulent s'installer, cette situation n'est pas viable et, personnellement proche de la retraite, je ne me vois pas transmettre sachant pertinemment que le repreneur ne pourra pas continuer ce genre d'élevage, car quid des terres enherbées ? Pour rappel, nous ne sommes pas en Eure-et-Loir donc pour avoir une rentabilité en cultures ici on oublie. D'habitude je suis optimiste, mais je perds espoir, car hier c'était mon voisin qui était touché, aujourd'hui c'est moi, demain ça sera un autre voisin… Je ne vois pas de fin ».


Gaec du Limonet (Mars-sur-Allier), 1 attaque LNE : 1 morte, 7 blessées, 1 morte des suites de ses blessures.

Amélie Boissinot et Mickaël Vadrot, installés en 2021, stipulent : « Dans notre malheur nous avons eu de la chance, car nous avons finalement peu de dégâts suite à l'attaque du 27 août. Pour information, la brebis morte était la plus belle du lot, une meneuse… Après le choc de la découverte, qui nous hante toujours un peu, nous avons modifié nos pratiques en rentrant tous les animaux le soir et en les ressortant le matin, ce qui rajoute deux heures de travail en plus minimum par jour. Si on ne peut pas tuer le ou les spécimens responsables des attaques, il faut le capturer et le mettre ailleurs, car il n'a pas sa place chez nous : l'élevage dans notre zone bocagère n'est pas compatible avec la prédation car c'est ingérable. Pour le moment, ce qui nous reste de tout cela c'est du stress pour l'avenir, car nous ne pourrons pas rentrer tout le monde au printemps, nous voulions faire construire un nouveau bâtiment, mais nous sommes en zone inondable, donc c'est à oublier. Nos parcelles sont en grande partie grillagées, mais si nous devons tout refaire en électrique cela demande encore du travail et de l'argent supplémentaire. Nous n'avions pas choisi ce genre de système pour voir nos animaux enfermés. Nous voulions voir notre cheptel libre dans les prés et nous voulons le protéger car, c'est notre revenu. Sans lui, il n'y a plus rien. En parallèle, ce qui nous inquiète, c'est le rapprochement du prédateur vers les lieux de résidence. On dirait qu'il n'a pas peur de la présence humaine. Là encore, on se pose des questions sur ce genre de comportement… En somme, nous avons de nombreuses interrogations mais personne ne semble vouloir nous donner les réponses ».

 

Gaec d'Autry, (Saint-Pierre-le-Moûtier), 1 attaque LNE : 1 morte.

Serge et Laurence Loisy, associés du Gaec, racontent : « Le 3 août, nous avons retrouvé un agneau mort, avec une trace de morsure, comme nous avons des chiens errants dans notre secteur nous ne l'avons pas déclaré à l'OFB. 10 jours plus tard, au même endroit au Champ Brûlé, nous avons découvert une brebis morte, l'épaule arrachée (restée introuvable), et ayant été traînée sur environ 5 m. Elle a été déclarée LNE. Son agneau a été retrouvé dans un fourré quelques dizaines de mètres plus loin, le lendemain, dans le même état. Le soir même nous installions des caméras aux alentours. Et, le 16 août nous avons un grand canidé en photo, avec de grosses suspicions quant au fait qu'il s'agisse d'un loup ». Ils ajoutent : « Serge est très contrarié car il avait un lien particulier avec cette brebis de près de 80 kg. D'ailleurs, depuis l'attaque, il n'est pas rassuré quand il va dans les bois et nos filles ont interdiction de camper vers l'étang ou dans la forêt. En parallèle, notre seule solution est de rentrer les animaux tous les soirs, et donc de leur donner du foin et de les ressortir le matin. Outre l'astreinte que cela impose, elles ont perdu environ 4 à 5 kg, et nous avons peur des conséquences sur la reproduction et pour la suite… On nous parle de bien-être animal, mais où est-il quand on voit les dégâts du loup ? À qui sa présence profite ? Car il faut prendre conscience qu'ici c'est soit le loup soit l'élevage. Mais, quand il n'y aura plus de moutons, de bovins ou d'équidés, il s'attaquera à quoi, à qui ? Il faut les bons animaux aux bons endroits. Que le loup soit dans les parcs naturels très bien, mais en forêts privées, c'est non. Il est temps que nous nous regroupions tous afin de trouver une solution. Nous voulons aussi avoir des renseignements sur le comportement et les habitudes du loup, car on entend tout et son contraire. Mais, soyons clairs, ce n'est pas à nous de nous barricader ».