Moissons
Des prix corrects et honnêtes

Chloé Monget
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Installé en 1994, Noël Deneuville (Chevenon) n'en est pas à sa première moisson... Pour lui, la problématique de cette année ne se résume pas seulement aux conditions climatiques. 

Des prix corrects et honnêtes
Lucie, installée en janvier 2024 et prêtant main-forte à son père Noël durant la moisson.

« À mon sens, cette année n’est pas exceptionnelle car chaque campagne agricole a sa particularité, c’est ce qui fait un peu le charme de ce noble métier » détaille Noël Deneuville, exploitant à Chevenon. Il ajoute : « Et heureusement, le fait d’être en agriculture de conservation des sols (ACS) a permis un meilleur enracinement des plantes, avec une meilleure résilience des cultures par rapport aux techniques dites conventionnelles de travail du sol. De plus, il faut prendre en compte que l’ACS permet de nombreuses économies d’intrants (énergétiques, matériels, fertilisation, etc.) tout en atténuant les problématiques aléatoires du climat (sécheresse, excès d’eau). D’ailleurs avec les gros orages de printemps, je suis inquiet de constater l’érosion visible de certaines parcelles travaillées. Je n’ose imaginer les dépenses d’énergies supplémentaires pour rectifier les parcelles ; il manque de la formation dans ce domaine de la protection agronomique des sols ».

Indispensable

Il poursuit : « Pour pallier les complications liées aux aléas climatiques, il n’y a pas 36 solutions : il faut aussi des prix. Et, si le prix de vente de nos productions était aux normes françaises comme le sont les indemnités de nos nouveaux députés, nous pourrions faire face à tous les aléas climatiques ». Il résume son sentiment : « On nous laisse tomber. Cela vaut pour les grandes cultures mais pour toutes les autres productions françaises. Nos charges sont françaises et avec une évolution française, c’est-à-dire en hausse constante alors que le prix de nos produits est constamment en baisse, même les aides PAC fondent comme neige au soleil ». Il développe ce point : « On nous rabâche qu’il faut une souveraineté alimentaire, mais rien n’est fait pour maintenir ou valoriser nos productions. Outre désespérer les agriculteurs en place, qui pour certains n’ont plus la trésorerie pour faire face à tous les autres imprévus inhérents à notre secteur d’activité, cela décourage aussi les jeunes qui veulent s’installer. En effet, comment donner envie à ces derniers de s’engager dans cette voie s’ils ne peuvent pas en vivre ? D’ailleurs, nous avons aussi beaucoup de mal à recruter des salariés. Là encore la question des prix, en l’occurrence des salaires, est en cause : comment trouver des salariés si le salaire n’est pas en corrélation avec l’investissement demandé ? Car, soyons clairs, nous ne pouvons pas imposer à nos salariés le même engagement que nous avons, nous chef d’exploitation. Cet engagement est tellement prenant et nous avons tellement peu de retours que malheureusement notre profession dénombre un grand nombre de suicides ; preuve d’une détresse non entendue ».

La voix du terrain

Pour Noël Deneuville, l’absence des prix et le manque de considération du mal-être agricole tiennent leurs racines dans la déconnexion des politiques – à tous les niveaux – face « au monde réel » : « Certains n’ont jamais rien fait d’autre que des mandatures. Autrefois, les élus avaient des emplois, notamment dans l’agriculture et ce qui était légion auparavant est devenu une rareté. Je pense qu’il faut remettre un peu de réel dans leur tête afin qu’ils comprennent nos problématiques. Les agriculteurs de ce pays vont devoir exiger de ces nouveaux responsables politiques la vérité sur l’avenir de la ferme France. Est-il raisonnable d’installer des jeunes avec des charges bancaires exponentielles et en même temps ne pas leur permettre d’avoir un revenu décent pour eux et leur famille, comme celle d’un citoyen digne. Grâce à cette mise en avant du réel peut-être que des prix français seraient mis en place ». Avec un espoir teinté d’amertume, il stipule : « Ce qui me fait mal c’est de voir que nous sommes tous passionnés par ce métier mais, un peu comme avec les infirmières, les gouvernements successifs jouent sur la résilience qui découle de cette passion. Pour la majorité d’entre nous, nous ne nous voyons pas faire autre chose… et parfois par manque de temps pour se défendre, nous laissons passer des combats. Pour moi, il faut que la voix du terrain, qui est celle de tous les professionnels agricoles, soit de nouveau entendue, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ouvre ma ferme à qui veut la découvrir : pour présenter la réalité de mon métier au quotidien ». Dans cette optique, il s’est inscrit, comme Laurent Lebouille (exploitant à Cosne-Cours-sur-Loire), sur Moissonneuse.fr d’Intercéréales. Pour rappel, cette initiative permet de prendre rendez-vous avec un exploitant pour passer un peu de temps avec lui dans la moissonneuse. Noël Deneuville conclut : « L’agriculture française à un coût, et génère des emplois, et il faut l’expliquer aux consommateurs. Et, pour réaliser cela, je suis persuadé que l’outil le plus efficace est d’ouvrir nos fermes ». Un article plus complet sur son choix de participer à cette démarche sera publié prochainement. En attendant, la moisson se poursuit sur l’exploitation de Noël Deneuville, comme dans toutes celles du département.

Image supplémentaire
Noël Deneuville ne travaille pas ses sols sur l'intégralité de l'exploitation. Selon lui, cela permet une meilleure structure du sol et donc une meilleure portance et aucune érosion.