Interview
Arnaud Rousseau, nouveau président de la FNSEA, se livre
Arnaud Rousseau a été élu président de la FNSEA le 13 avril. Cet agriculteur de Seine-et-Marne de 49 ans est aussi président du groupe Avril, de la FOP, et maire de son village de Trocy-en-Multien.
Quelle est votre réaction à la suite de cette élection ?
Arnaud Rousseau : "Je tiens à remercier mes pairs de la confiance qu’ils m’accordent en me confiant la présidence pour les trois prochaines années. J’ai également une pensée pour ma famille, mon entourage et toutes celles et ceux qui m’ont accompagné depuis le début de mon engagement à la Fop et à la FDSEA77. Je mesure la grande responsabilité qui s’attache à ce mandat, que je prends à bras-le-corps avec conviction mais aussi humilité. Les adhérents peuvent compter sur moi pour dignement porter les intérêts de la FNSEA, faire entendre leur voix, et préparer l’avenir de notre agriculture dans toute sa diversité".
On vous compare beaucoup à Xavier Beulin, passé lui aussi par la FNSEA, la Fop, Avril… Qu’en pensez-vous ?
A.R. : "J’ai eu la chance de côtoyer Xavier Beulin, c’est grâce à lui que j’ai fait mes débuts dans le syndicalisme agricole, en rejoignant la Fop dès 2005. Je comprends que la comparaison soit tentante mais nos parcours et nos personnalités sont différents. À 49 ans, j’ai la chance d’avoir encore mes parents. Ils m’ont accompagné, conseillé, orienté quand j’ai choisi ce métier et me suis installé en 2002. C’est structurant dans la construction d’un parcours de vie. Xavier, lui, n’a pas eu cette chance. Autre exemple : je n’ai pas été président de Chambre d’agriculture, et lui n’a pas été maire d’une commune. Je pourrais multiplier les exemples…"
Comment vous êtes-vous préparé à votre nouvelle fonction ?
A.R. : "Je suis engagé dans le syndicalisme agricole depuis 2005. J’ai exercé les fonctions de secrétaire général puis de président de la FDSEA de Seine-et-Marne, avant de devenir administrateur de la FNSEA en 2014. Il existe tout un processus de maturation pour comprendre les enjeux de production et de territoires : c’est ce qui permet de dialoguer et d’aboutir à un consensus qui engage. Plus encore lorsque l’on défend un syndicalisme à vocation économique. Le passage de témoin entre Christiane Lambert et moi-même s’est fait dès le mois de février : elle m’a associé à sa fonction, aux prises de décisions, aux rendez-vous de premier plan comme celui avec le Président de la République avant le Salon de l’agriculture et aux rendez-vous réguliers avec le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire".
Craignez-vous que vos actions alimentent la vision d’une FNSEA « productiviste » ?
A.R. : "« Production » et « productivisme » sont deux concepts bien distincts. Préserver et développer nos capacités de production est essentiel pour l’agriculture française et européenne. Malgré les nombreuses alertes que la FNSEA et d’autres organisations, comme le Copa, ont lancées, nous sommes devenus de plus en dépendants des pays tiers. En France, la moitié des poulets que nous mangeons est importée, nous dépendons des pays européens et des pays tiers pour une grande partie de nos fruits et légumes. Notre production et notre filière sucrières sont mises à mal en raison de décisions politiques qui se sont révélées incohérentes, en créant d’importantes distorsions de concurrence. Je pense qu’il faut faire mieux comprendre à la société tous les efforts qui ont été réalisés. Il est possible de concilier production et transition agroécologique ! Ce chemin de cohérence et d’exigence existe, j’en suis convaincu. Nous le portons à la FNSEA, avec la conviction que ce n’est pas dans la décroissance que nous gagnerons notre salut économique, social et environnemental".
Comment allez-vous conjuguer votre mandat de président de la FNSEA avec les autres (maire, président du groupe Avril, de la Fop) ?
A.R. : "Mes fonctions chez Avril sont indissociables de mon engagement syndical et de ma vision d’un syndicalisme à vocation économique. C’est parce que je suis agriculteur et administrateur de la Fop que je siège chez Avril en tant que représentant des producteurs agricoles. Ces fonctions sont complémentaires et constituent même un atout au service de notre projet. Mon mandat me permet d’être en prise directe avec les réalités du terrain sur toute la chaîne de valeur, du champ à l’assiette. Ma fonction de président du Conseil d’administration d’Avril est un mandat non opérationnel. En tant que premier représentant du monde agricole, mon rôle est de veiller à préserver l’héritage des fondateurs, tout en garantissant le développement du groupe".
Ne craignez-vous pas de passer pour le représentant des agro-industries ?
A.R. : "On ne devient pas président de la FNSEA avec des craintes, mais avec un projet et une vision. D’abord, je suis agriculteur, et c’est à ce titre que j’ai été élu président de la FNSEA. Je suis installé depuis 2002 sur la ferme familiale de 339 hectares, exploitée en grandes cultures depuis cinq générations. J’y ai développé les légumes de plein champ et l’irrigation. Avec ma femme, elle aussi agricultrice exploitante, et quatre salariés, nous valorisons près de 700 hectares de cultures en Île-de-France. Je suis fier de la réussite de nos fermes. Ensuite, je rappelle qu’au sein de la FNSEA, les décisions sont prises de façon collective : seul le Conseil d’administration est souverain. C’est lui qui détermine les orientations à prendre, en tenant compte des hommes, des productions, des territoires. La force de la FNSEA c’est d’être un tout !"
Quel président serez-vous ?
A.R. : "Je serai d’abord au service des adhérents. Un président de terrain, qui va à leur rencontre et est à l’écoute de leurs préoccupations et de leurs difficultés. Je veux rassembler autour d’une vision partagée et d’un collectif dans lequel la place des femmes et des hommes est primordiale, de même que celle des territoires, et où il faut cultiver le goût d’entreprendre. Je serai un président qui fixe le cap, qui s’entoure et qui délègue en confiance. Je resterai attentif et connecté au réseau, parce que l’unité sera notre premier atout pour faire front et arrêter le déclassement de notre agriculture. Je m’inscrirai dans la tradition réformatrice de notre syndicat, et engagerai la réflexion collective sur une nouvelle gouvernance plus moderne, plus agile, plus collégiale et ancrée dans les territoires. J’ai déjà quelques pistes de réflexion, et les partagerai au Conseil d’administration lors de son prochain séminaire. Je serai un président responsable et exigeant vis-à-vis des Pouvoirs publics".
Comment envisagez-vous votre rôle face aux politiques français et européens ?
A.R. : "Je serai un interlocuteur responsable et exigeant. En tant que corps intermédiaire, nous devons savoir garder nos distances, c’est la garantie de notre indépendance. Il nous faut savoir instaurer un rapport de force avec celles et ceux qui nous gouvernent à Paris et à Bruxelles. Les belles paroles restent trop souvent lettre morte : je m’attacherai à ce qu’elles se traduisent en actes, car c’est de cela dont les agricultrices et agriculteurs ont besoin aujourd’hui ! Nous attendrons des décisions qui traduisent une ambition politique forte pour l’avenir de notre agriculture. Nous serons à la manœuvre pour rechallenger Farm to Fork : je partage une partie de ses objectifs agro-environnementaux, mais j’estime qu’il ne doit pas être facteur de décroissance pour l’agriculture française et européenne".
Quels sont vos chantiers prioritaires à court et moyen terme ?
A.R. : "A court terme, les sujets sur lesquels je souhaite avancer sont la mise en œuvre de la nouvelle PAC, la directive « émissions industrielles » (IED), les accords commerciaux internationaux, et notamment Mercosur. C’est aussi la préservation de nos moyens de production : l’accès aux phytosanitaires, le stockage de l’eau. N’oublions pas la stratégie nationale bas carbone avec ses conséquences pour la pérennité de l’activité de nos éleveurs et de l’élevage français. À moyen terme, la FNSEA devra se pencher sur la préparation du cadre européen pour 2024, avec les élections européennes en ligne de mire. Il nous faut conserver des relais d’influence au Parlement européen pour infléchir les politiques européennes : elles sont parfois mal ficelées et incomprises par nos agriculteurs. À plus long terme, il nous faut soutenir la souveraineté agricole française et européenne, et donc aborder les enjeux de souveraineté alimentaire et énergétique. Il y a urgence à accélérer notre travail sur le renouvellement des générations. Enfin, il nous faut écrire un nouveau pacte avec la société française pour ancrer la compréhension de la nécessaire cohérence entre trajectoire agricole et attentes alimentaires, environnementales, économiques de nos concitoyens… et inscrire l’agriculture comme solution aux défis actuels".
Quel chantier placez-vous sur le haut de la pile ?
A.R. : "Notre premier défi est celui du revenu, que nous devons garantir à chaque agriculteur pour assurer la pérennité de nos métiers et donc de notre agriculture. Comment, sinon, attirer des jeunes et des nouveaux profils pour prendre la relève de nos 166 000 collègues qui partiront à la retraite d’ici 10 ans ? Le renouvellement des générations est une question cruciale. Préparer l’avenir, c’est aussi travailler à celui de notre syndicat, en veillant à l’émergence de nouveaux visages, avec, notamment plus d’élues dans notre réseau, à l’image de la féminisation de nos métiers".
Exergue : « Il est possible de concilier production et transition agroécologique ! Ce chemin de cohérence et d’exigence existe, j’en suis convaincu ».