Le point sur l'actualité viticole avec Louis Moreau
Aléas climatiques, problématique de manque de main-d’œuvre, l’avenir de la viticulture… Louis Moreau, viticulteur à Beines, a accepté donner son point de vue quant à l’actualité qui anime le monde viticole. Entretien.

L’année 2021 a été très compliquée, notamment sur le plan climatique (épisodes successifs de gel et de grêle). Quel bilan de cette saison faites-vous ?
Louis Moreau : « Ces aléas climatiques nous suivent depuis quelques années maintenant, ce n’est pas juste en 2021. Quand on regarde les dix dernières années, globalement il n’y a que trois années correctes. Les autres années, il y a eu des soucis, même si on a réussi à faire de très beaux millésimes. Mais ça a été très difficile de l’amener à la récolte et de le rentrer à la cave. Quand on regarde les rendements de ces dix dernières années, j’estime qu’on a perdu une récolte dans le Chablisien, ce qui est énorme. C’est compliqué, même si ce n’est pas encore dramatique, tant qu’on arrive à valoriser notre appellation ».
Les aléas climatiques forcent à être encore plus vigilant sur la qualité des vins produits ?
LM : « Oui, c’est certain. Globalement, les vins de Chablis sont de meilleure facture aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a vingt ou trente ans. Avec le climat, il faut être beaucoup plus pointu dans ses vignes, on fait davantage attention aux dates de récoltes, car la fenêtre par rapport à la météo et la maturité du raisin est très resserrée. On l’a vu en 2021 où il n’y avait que dix jours pour récolter avant l’état sanitaire et la qualité du raisin se dégrade. On apprend donc à être plus professionnel, on connaît encore mieux nos vignes ».
En 2021, mais aussi en 2016, certains vignerons ont perdu la quasi-totalité de leur récolte en une nuit. Comment vit-on cela lorsque l’on est producteur ?
LM : « On ne fait pas de bruit, on fait notre boulot. C’est pour cela que lorsque l’on interpelle les pouvoirs publics pour nous aider, c’est vraiment que les choses vont mal. Ça fait mal au cœur, mais il faut reprendre le travail. On doit continuer le suivi comme si la récolte aura lieu, car on pense déjà à l’année d’après. Il ne faut pas baisser les bras. Cette année, tout le monde a pris un coup derrière la tête. C’était usant, il n’y avait pas de répit. Jusqu’au dernier jour avant la récolte on ne pensait pas réussir à vendanger. Cette année on a demandé de nous aider car on était vraiment en difficulté. On ne demande pas la lune, seulement de pouvoir amortir les charges en cas de coup dur. Parce qu’il faut que demain on puisse encore être là ».
Une autre problématique touche la viticulture et l’agriculture en général : le manque de main-d’œuvre. Nous en parlions déjà il y a un an et nous constatons que rien n’a changé depuis. Comment expliquer cela ?
LM : « On se pose également la question. Même s’il y a des choses qui ont été mises en place pour favoriser l’emploi, tous les domaines cherchent encore aujourd’hui du personnel mais ne trouvent personne. On se demande où sont les gens ? Lorsque l’on poste une annonce, il n’y a pas de réponse. Alors qu’il y a entre 80 et 100 postes à pourvoir dans le Chablisien. Je ne pense pas que personne ne veut venir travailler dans le milieu viticole, je pense que c’est avant tout une question de mobilité. C’est un phénomène sur lequel je souhaite vraiment avancer. Beaucoup de demandeurs d’emploi n’ont pas le permis de conduire ou de moyens de transport. Pourquoi ne pas imaginer la mise en place d’un système de navettes entre Auxerre et Tonnerre ? Je sais que cela fonctionnerait puisqu’au domaine, on le met en place pendant les vendanges. Sans ça, je suis certain de ne pas avoir la moitié de mes équipes pour cette période. Je pense qu’il faut se pencher sur la question, c’est ce que l’on fait avec quelques autres viticulteurs. Cela pourrait aider à résoudre, en partie, cette problématique de manque de personnel ».
Parlons futur. Quelles sont les échéances à venir dans le monde viticole, que nous pourrions observer dès cette année 2022 ?
LM : « On est en train de regarder à nouveau l’avenir, avec la Chambre d’agriculture et le BIVB en ce qui concerne la technique, pour savoir quel est le matériel végétal le plus adapté à ces phénomènes de sécheresse, de coup de chaud, de stress, pour la plantation de nouvelles vignes. C’est peut-être l’un voire le plus gros projet pour les années 2022-2023. Et c’est quelque chose de très intéressant, d’autant plus à Chablis car c’est un secteur où il va y avoir beaucoup de nouvelles plantations sur cette période. C’est le moment de faire des essais.
Il y a aussi des projets de mécanisation par la robotique qui vont sortir. Face à cette problématique de manque de main-d’œuvre, on regarde si cela peut être compensé en partie avec l’intégration de tracteurs autonomes. On entre dans la troisième année d’essais au domaine. Ce n’est pas pour remplacer les équipes, comme je le dis toujours, mais pour les aider, les assister, notamment sur le travail des sols.
Il y a également le développement de projets d’installation de câbles chauffants pour contrer les gelées de printemps. Plusieurs viticulteurs du secteur sont en train d’en construire ».
Comment voyez-vous l’avenir de la viticulture ? Êtes-vous inquiet ou plutôt confiant ?
LM : « Je suis assez soucieux. Le métier de vigneron est un beau métier, on a des appellations superbes ici, mais je suis soucieux de l’avenir car il y a beaucoup de choses qui nous tombent dessus, qui se croisent et l’impact est lourd. Pour autant, si on continue de travailler les vins et les vignes comme on le fait, si on est conscient qu’il y a une vraie montée en gamme à Chablis, on peut passer le cap. Mais c’est ensemble qu’on pourra le faire. Il faut peut-être aussi se mettre dans la tête que demain on n’aura plus forcément un vignoble qui produira comme il y a vingt ans. Il produira moins, mais on le valorisera. On arrive peut-être à un changement où il y aura une autre conduite, une autre approche à avoir par rapport à ce que l’on a connu. Il y a vingt ans, c’était rare d’avoir une récolte faible en quantité, on se posait moins de questions. Aujourd’hui c’est compliqué d’imaginer la récolte à venir et son volume de récolte. C’est pour cela qu’il faut peut-être travailler autrement. Et il y a des solutions pour cela ».
