Selon une étude récente sur le fonctionnement du marché des engrais minéraux, la volonté d'inscrire l'agriculture européenne dans une baisse du recours aux intrants apparaît manifeste. On peut néanmoins se questionner sur la pertinence d'un tel affichage, alors que le reste du monde ne prend pas le même chemin.
À l’horizon de 2032, la consommation européenne d'engrais minéraux en unité fertilisante devrait globalement diminuer de 4 % pour l’azote, 1 % pour le phosphore et augmenter de 2 % pour le potassium, selon Fertilizer Europe, l’organisation européenne de l’industrie des engrais. Une augmentation ou une stabilité de la consommation d'azote est prévue dans la moitié des États membres d'Europe centrale et orientale, tandis que des baisses devraient se poursuivre au Portugal, en Belgique et en Autriche. Pour la potasse, une croissance est signalée dans la plupart des pays européens, à l'exception de la Finlande, de la Croatie, de l'Irlande, de la Lettonie, des Pays Bas et du Portugal. En fait, l’emploi d’engrais en Union européenne serait conditionné par le renforcement des mesures environnementales limitant leur utilisation et par l’évolution des pratiques culturales, selon les auteurs de l’étude « sur le fonctionnement général du marché des engrais minéraux dans la situation spécifique des filières grandes cultures » rendue publique par FranceAgriMer.
Quel projet pour l'agriculture ?
Une agriculture européenne moins intensive en intrants, voire moins productive, nécessite moins d’engrais. Par ailleurs, les phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents dans certaines régions rendront l’activité agricole et l’accès aux champs plus périlleux. En conséquence, moins d’engrais devrait être épandu. En France, Fertilizer Europe anticipe une diminution proportionnellement plus importante de la consommation d’engrais azotés (-12 %) et phosphorés (-5 %) qu’à l’échelle de l’Union européenne mais davantage de potassium sera utilisé pour accompagner notamment l’essor de la production de pommes de terre. « La demande en engrais dépend du projet que la France veut donner à son agriculture », expliquent les auteurs de l’étude. Or depuis quelques années, la vocation exportatrice de la France est remise en cause et sa souveraineté alimentaire est menacée.
Onze recommandations
La dépendance croissante de l’Union européenne aux importations de matières premières, produits intermédiaires et engrais finis devrait s’amplifier à l’avenir si les engrais consommés sont de plus en plus importés. Dans un marché mondial en croissance, elle poserait de nouveaux risques d’approvisionnement dans un contexte de multiplication des conflits. « Les perspectives de diminution d’utilisation d’engrais en Europe et en France pourraient marginaliser un peu plus les acteurs européens de la production et de la distribution », soulignent les auteurs de l’étude. Ces derniers font onze recommandations pour exploiter les opportunités et atténuer les menaces en matière d’approvisionnement, d’outil industriel et logistique, d’agronomie et de marché. Citons par exemple l’accompagnement des unités de production d’engrais sur le territoire national dans leur transition bas carbone et les nouveaux projets de production d’engrais à partir d’énergies renouvelables. Il s’agirait aussi d’améliorer l’efficience des engrais au champ (ex : enrobages à libération contrôlée, inhibiteurs, biostimulants…) et la fertilité globale des sols ou encore, de diversifier les sources d’approvisionnements pour réduire la dépendance aux importations. Relocaliser la production d'engrais en Union européenne, y compris les engrais organiques et les biostimulants, ferait partie des stratégies à suivre. Enfin, les auteurs de l’étude sur les engrais suggèrent de « renforcer les réseaux de distribution et la mise en place d’outils de gestion du risque prix pour les producteurs de céréales ».
Les perspectives pour 2027
À l’horizon de 2027, l’étude de FranceAgriMer prévoit que la demande mondiale d’engrais sera portée par l’Asie du Sud et l’Amérique Latine. Mais l’Afrique sera par la suite le marché à la croissance la plus rapide. Selon l’International Fertilizer association (IFA), la consommation mondiale d'azote devrait augmenter de 9 % par rapport à 2022 (+9,4 Mt) et atteindre 115 Mt, celle d’engrais phosphatés de 6 Mt (50,2 Mt ; +14 %) et de potassium de 5,1 Mt (40,6 Mt, +14 %). Pour y répondre, l’IFA anticipe une progression des capacités de production d’engrais azotés de 9 % (+10,9 Mt), de 12 % de phosphate (+7,4 Mt P2O5) et de 17 % pour la potasse (+7,1 Mt). Cette croissance serait néanmoins plus faible qu’entre 2010 et 2021. Elle était alors de 22 %, la production d’engrais passant alors de 160 Mt à 197 Mt eq Azote (N) + Phosphore (P2O5) + Potassium (K2O). Par ailleurs, la transition énergétique devrait accroître la compétition des usages pour les ressources en phosphore, soufre et ammoniaque. Par exemple, le marché de l'ammoniaque triplerait dans les décennies à venir, car elle pourrait être vectrice d’énergie bas carbone par son usage comme carburant, notamment pour le transport maritime ou comme combustible, pour le stockage de l’énergie. Ces nouvelles utilisations représenteraient plus de la moitié de la consommation d’ammoniac bas carbone à l’horizon 2050.