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Abattoir de Corbigny

Une fin amère

Le 31 décembre 2021, l'abattoir de Corbigny est définitivement fermé. En réponse à cela,un collectif d'éleveurs et de consommateurs se positionne avec cette lettre ouverte. 

Par Chloé Monget
Une fin amère
L'abattoir de Corbigny situé sur la route de Saint Saulge à Corbigny.

Il y a trois ans, le groupe Sicarev annonce cesser l’activité́ d’abattage et de découpe à Corbigny, pour des raisons de stratégie industrielle. Une fois la stupeur passée, de nombreuses personnes ont pris ça comme une belle opportunité pour proposer un projet de reprise avec une vision industrielle nouvelle, un mode de gouvernance différent.

Une reprise possible

Parallèlement, Guillaume Pham, entrepreneur français dirigeant un abattoir entre Québec et Montréal, est partant pour travailler à la reprise avec les acteurs du territoire, des éleveurs, des bouchers, des consommateurs. Il propose un ancrage local, et un véritable travail de filière face à une crise de l’élevage prégnante qu’il faudrait juguler avec une filière de qualité fondée sur la traçabilité ; de la fourche à la fourchette.

Au printemps 2019, des éleveurs, des bouchers et des consommateurs créent une association, EBE, (éleveurs et bouchers engagés) et rejoignent le projet porté par la société Pham, un consortium voit le jour. Chacun travaille dur pour comprendre la demande et les besoins, pour éviter les écueils.

Une structure compliquée

Car le contexte est complexe : l’abattoir de Corbigny comporte une salle d’abattage propriété de la commune, et un atelier de transformation propriété de Sicarev. Ce dernier est jugé « relativement obsolète et sans grande valeur en tant que tel » par le rapport de mission demandé par le Conseil Général de l’Alimentation et de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) daté d’août 2020. L’outil doit être modernisé.

Le site compte 30 emplois, que le consortium veut à tout prix préserver, et la filière de l’élevage se révèle fragilisée après 3 années de sécheresse. Il faut donc un projet solide, ambitieux.

Dès l’automne 2019 Les rencontres avec les services de l’État, les acteurs politiques locaux, maires, président de communauté de communes, sénateur, député, se succèdent. Mais de réunions en réunions l’inertie se fait sentir dès le début avec de nombreux revirements, des études onéreuses qui n’en finissent pas, des actes frileux. Même le cahier des charges de l’appel d’offres est nébuleux !

On ressent déjà la non-volonté des élus locaux de faire bouger les choses, de s’emparer de la mission, de laisser fleurir un projet véritablement innovant pour le territoire, respectueux du travail de chacun. Malgré cette latence, EBE et la société Pham tiennent bon et ne démordent pas.

Gardez le cap

Le projet prend corps et se construit en 2020 en dépit de la crise sanitaire qui a évidemment tout ralenti ! L’association ne chôme pas et travaille sur de multiples axes :

- créer une seule entité pour résoudre les questions de propriété ;

- évaluer la demande et les besoins des consommateurs et des éleveurs

- étudier la construction d‘un nouveau bâtiment pour un atelier de transformation avec labos, chambres froides salles de découpe et de maturation…

- prospecter auprès des éleveurs pour s’assurer d’un volume suffisant ;

- maintenir tout le personnel malgré la baisse de charge au départ.

2021 est la dernière ligne droite, marquant le départ de Sicarev confirmé pour fin décembre 2021.

Des idées innovantes

Le projet nécessitait des aides financières. La société Pham était prête à investir dans un système de traçabilité, dans une flotte de véhicules réfrigérés etc. mais elle ne pouvait pas supporter seule toutes les charges liées à la reprise. Le consortium a donc sollicité des aides publiques via des dispositifs existants, auprès de l’État, de la Région, ou du Département.

Mais tout a été très lent, trop lent et les énergies ne se sont pas rejointes. Les acteurs politiques locaux sont restés frileux, s’arc-boutant sur des idées reçues, et agissant au gré d’accords et d’intérêts nous dépassant.

Au tournant de l’été 2021, le projet du consortium n’est finalement pas retenu, après 2 ans de travail sincère et méticuleux ! C’était pourtant le seul projet sur la table !

Les conséquences

Résultat : l’abattoir et la salle de découpe sont fermés depuis 31 décembre 2021. Ce sont 30 salariés mis au chômage, des centaines d’éleveurs et de bouchers qui ne peuvent plus abattre sans faire des centaines de kilomètres, et ne parlons pas des emplois indirects. Nous sommes ici aux antipodes de la reprise économique que certains acteurs politiques vantent ou appellent de leurs vœux. Aux antipodes du projet alimentaire territorial du département de la Nièvre qui prône entre autres la structuration de filière agricole locale, la traçabilité, les circuits courts, les coopérations agricoles ! Aux antipodes des enjeux de bien-être animal, de réduction des transports des animaux préconisés dans le rapport d’information du Sénat « Alimentation durable et locale » du 19 mai 2021.

La vérité c’est que les élus et les services de l’état ont volontairement laissé passer le train d’un projet solide et viable laissant sur le quai des salariés malmenés, des éleveurs sur le qui-vive et une filière au bord de la crise de nerfs. Ils n’ont pas voulu s’engager, ils n’avaient pas d’idée, ils n’ont pas bougé !

Au final tout cela au profit de l’abattage industriel à très grande échelle, celle de Bigard et compagnie, alors même qu’une écrasante majorité d’éleveurs de la région, pressés jusqu’à la moelle, ne peuvent plus supporter ni ce système ni les contraintes monétaires qui leur sont imposées. Les lobbies de l’agro-industrie et de l’agroalimentaire auront eu le dernier mot au détriment d’un territoire, de ses habitants, de ses savoir-faire et de son avenir.

Ambitions et réalité

Peut-on se permettre de supprimer 30 emplois et des savoirs faire, de laisser fermer un outil de proximité pour les éleveurs du territoire, de mettre en péril les comptes de la commune, de vider le territoire de son agriculture traditionnelle fondée sur la polyculture élevage, de laisser passer l’opportunité de proposer un mode d’élevage plus vertueux ? Manifestement, oui.

Aujourd’hui, et ce après trois ans de travail acharné, l’amertume est là avec beaucoup de questionnements sur la réalité des ambitions des hommes et des femmes politiques de notre territoire, sur le conservatisme ambiant qui risque d’attirer une fois de plus des projets destructeurs, polluants, non respectueux des habitants et de l’environnement.

Il semble que la Nièvre est un no man’s land où l’on décourage toute initiative… nous ne pouvons nous y résigner.