Portrait
À l'aube de la retraite

Christopher Levé
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D'ici quelques semaines, au 1er décembre prochain précisément, Francis Letellier, éleveur à Saint-Privé, quittera le monde professionnel pour une nouvelle vie, celle de la retraite. S'il est bien connu en Puisaye, il est également en dehors de ses terres grâce à ses dix années à la présidence de la FDSEA de l'Yonne. Retour sur une carrière bien remplie professionnellement et syndicalement parlant.

FDSEA
Francis Letellier prendra sa retraite le 1er décembre prochain.

Après une vie professionnelle bien remplie, Francis Letellier, éleveur à Saint-Privé et ancien président de la FDSEA de l'Yonne de 2007 à 2017, s'apprête à raccrocher. Le 1er décembre prochain marquera l'entrée dans sa nouvelle vie, celle de retraité.
Sa vie active, elle, a commencé le 1er janvier 1980, à seulement 19 ans, en reprenant quelques ha de son papa. Puis, quelques années plus tard, en 1987, Francis et son frère Bruno, qui s'installe l'année suivante, achètent une ferme riveraine.
Chez les Letellier, il y a toujours eu des vaches à lait. Mais en 1984, années des « quotas laitiers », le développement de l'activité est freiné. « On ne pouvait pas avoir du lait comme on le voulait. Alors, pour diversifier la production, on a monté deux poulaillers : un petit de 200 m2 où on faisait des cailles de chair, un autre de 400 m2 où on y faisait des poulets de chair ». Mais en 1999, lors de la tempête, le grand tunnel s'est envolé une première fois, puis une seconde l'année suivante, ce qui était trop pour les frères Letellier, qui prennent la décision d'arrêter la production de volailles. De toute façon, les poulets, ce n'était pas leur truc. « En 2000, on réussit à avoir une référence laitière supplémentaire. À ce moment-là, on décide donc de moderniser l'exploitation : la salle de traite a été agrandie, la stabulation refaite, etc. ».
Un nouveau cap est ensuite passé avec l'installation de l'irrigation, en 2007 (aujourd'hui 80 % de la surface est irrigable), et celle d'un robot de traite, en 2011. « Pourquoi l'irrigation ? À travers cela, l'objectif est de sécuriser les stocks de maïs ensilage pour en avoir suffisamment pour l'alimentation des vaches, car nos terres sont séchantes. Cela nous permet d'être autosuffisant en aliment grossier. Quant à l'arrivée du robot, il faut avouer que cela a bien amélioré les choses au niveau de la pénibilité du travail. En temps de travail, on ne gagne pas énormément mais en termes de pénibilité la différence est grande ».
Les années passent, la ferme a bien grandi, la production aussi. Aujourd'hui, 700 000 litres de lait sont produits par an (vendus à Sodiaal), ainsi que 100 ha de céréales, hors maïs (vendues à 110 Bourgogne). « Au robot, il y a toujours entre 60 et 62 vaches. Au total, il y a 100 bêtes en comptant le renouvellement ».
C'est donc une ferme qui tourne que Francis Letellier s'apprête à laisser. Mais pas à n'importe qui. « Mon neveu reprend mes parts et travaillera donc avec son père. La passation sera officielle courant 2025 », confie-t-il.

Un caractère bien trempé

Francis Letellier est bien connu pour son côté travailleur, mais aussi pour son caractère bien trempé. La raison pour laquelle il décide de devenir agriculteur en est le plus bel exemple. « Mon père me disait toujours : « Toi, tu ne seras jamais paysan. Fais autre chose, soit fonctionnaire ». Je pense que c'est par esprit de contradiction que j'ai voulu devenir paysan », rit-il. « Et puis je voulais que la ferme familiale reste dans la famille. J'aurais trouvé ça dommage que cette ferme que mes parents ont achetée en 1953 finisse dans les mains de quelqu'un d'autre. C'était d'ailleurs important pour moi que la ferme reste dans la famille à mon départ à la retraite, ce qui sera le cas avec la reprise de mes parts par mon neveu ».
Mais sous cette étiquette de personne à fort caractère, lui, ce qui l'importe, ce sont les autres et l'importance du collectif. Ce n'est pas pour rien que dès son plus jeune âge, alors qu'il n'est même pas encore installé, il fait ses premiers pas dans le syndicalisme, à la FDSEA. « J'avais 17 ans », se souvient-il. « J'ai d'abord été sympathisant, avant de m'installer, puis j'ai adhéré. Quelques années plus tard, je suis devenu président cantonal, du canton de Bléneau-Saint-Fargeau. Puis, un beau jour, Gilles Abry, alors président de la FDSEA de l'Yonne, candidate à la présidence de la Chambre d'agriculture, où il est élu en 2007. Il fallait alors élire un nouveau président pour le syndicat. Je me suis proposé et j'ai été élu (le 23 avril 2007, ndlr). J'ai donc fini le mandat de Gilles Abry et j'en ai fait trois autres derrière (jusqu'à ce que Damien Brayotel lui succède le 20 juin 2017, ndlr) ».
Durant son mandat de président local, il devient aussi administrateur pour la Région à la FNSEA, durant six années. « C'est un très bon souvenir. Cela m'a permis d'avoir une autre vision, une ouverture d'esprit, de dépasser celle uniquement du local, d'avoir une prise de conscience des problématiques des autres départements, de l'importance et de la difficulté de trouver des accords globaux pour la « ferme France ». C'est sportif, mais très intéressant. Et puis, j'ai eu l'occasion de faire des voyages découvertes à travers l'Europe (en Italie, en Bulgarie et au Danemark) grâce à ce poste, ce qui m'a permis de découvrir d'autres agricultures ».
Des souvenirs comme président de la FDSEA, il en a. Mais l'un des plus marquants, selon lui, c'est l'accueil du congrès de la FNSEA en 2010. « C'est un souvenir qui restera gravé dans la mémoire de toutes les personnes présentes à ce moment-là. J'avais la chance d'avoir une équipe de professionnels et d'administratifs qui ont beaucoup travaillé pour que cet événement soit beau. On a réussi le challenge, on était d'ailleurs tous très ému de cette réussite. Tout le monde a joué le jeu, même les anciens administrateurs et élus. C'était un très bel événement », raconte-t-il.

La passation de pouvoirs

Et puis un jour, il est temps de passer la main. « Là, tout s'arrête. Et il faut être prêt. J'avais été conseillé par André Thomas, un autre ancien président de la FDSEA de l'Yonne, qui m'avait dit « Francis, il faut que tu prennes conscience qu'un jour, tout cela va s'arrêter. Et quand cela s'arrête, c'est brutal. Du jour au lendemain, ton téléphone ne sonnera plus ». Je m'étais donc préparé à tout cela, j'avais déjà repris l'activité sur la ferme un peu plus intensément. Quand on n'est plus président, on revient à son vrai métier, celui d'agriculteur, même si on ne le quitte pas pendant la fonction. Mais quand on est absent trois jours dans la semaine pour des réunions, des rendez-vous syndicaux, il y a plein de choses qu'on ne fait pas sur la ferme. C'est avec le travail qu'on arrive à passer le cap du tumulte syndical ». Il poursuit. « Cela a été un peu compliqué de décrocher au début, ça a été dur six mois, car j'étais dedans 7 jours/7. Aussi, je voulais vraiment réussir à me mettre en retrait et ne pas dire à Damien ce qu'il avait à faire. Mais quand on est président d'un syndicat comme celui-ci, il faut savoir se retirer au bon moment, ne pas faire le mandat de trop. Car déjà, c'est usant pour soi, et puis surtout, il ne faut pas lasser les gens qui te font confiance. J'ai toujours été quelqu'un qui a une « grande gueule », on savait qui j'étais. Je me suis fâché avec pas mal de monde, mais j'allais « au front » pour défendre les intérêts des agriculteurs et de la FDSEA, jamais mes intérêts personnels », assure-t-il.
Aider les autres, Francis Letellier a toujours eu ça dans le sang. « J'aurais eu du mal de passer ma vie à ne m'occuper que de mon nombril. J'apprécie de pouvoir aider les autres, d'apporter à un collectif pour le faire progresser. Quand j'étais président, je n'ai jamais fait une action pour moi. Mon leitmotiv était : que peut-on faire pour tout le monde ? Je l'avoue, parfois j'ai dû défendre des choses qui pouvaient me chagriner, mais je l'ai fait, pour l'intérêt commun. C'est ça être président d'un syndicat agricole ».

Optimiste pour l'avenir agricole

Régulièrement présent sur des événements syndicaux en tant qu'adhérent, ou sur des rendez-vous agricole en tant qu'agriculteur, Francis Letellier dit se « permettre » aujourd'hui de donner davantage son avis depuis qu'il n'a plus autant de responsabilité. « Mais quand je parle, c'est en tant que Francis Letellier, par en tant qu'ancien président de la FDSEA. Le président, c'est Damien, je me dois de m'effacer. Je représenterai toujours la parole de la FDSEA si on me le demande, mais il ne faut pas qu'il y ait d’ambiguïté, je ne suis plus le président. Je n'ai pas à parler à la place de Damien, cela ne serait pas correct et serait même certainement désagréable pour lui ».
Mais le syndicalisme aura forcément toujours une part importante dans sa vie, avec des valeurs qui lui parlent. « La FDSEA est un syndicat qui construit, défend et regarde vers l'avenir, il ne se replie pas sur lui-même et ne dit pas que c'était mieux avant. Ce n'était pas mieux avant, c'était différent. Moi, je suis optimiste pour l'avenir du syndicalisme. Il rebondira toujours. On a connu des phases critiques, aujourd'hui on est sur un syndicalisme solide, bien qu'il soit attaqué de toutes parts, des médias nationaux comme de nos opposants. Cela ne m'a jamais fait peur. Tant que l'on reste sur nos bases solides, on n'a pas de souci à se faire ».
Cet optimiste, il l'a aussi vis-à-vis de l'agriculture. « Je suis confiant, oui. C'est quelque chose dont on a besoin au moins trois fois par jour et qui façonne l'environnement. Je pense que demain, au même titre que l'eau, l'agriculture sera un enjeu stratégique au niveau planétaire. Il faut croire en l'agriculture. Je suis persuadé que demain, on fera encore mieux que ce que l'on fait aujourd'hui, qu'on arrivera à se passer des traitements grâce à la recherche. Mais il faudra aussi intégrer les enjeux d'aujourd'hui et de demain, liés aux aléas climatiques, pour réussir à être résilient ».
S'il est encore président du groupement d'employeurs AVE 89 (depuis décembre 2017, ndlr) et adjoint au maire dans sa commune, Francis Letellier est bien décidé à accorder bien plus de temps à ses proches une fois à la retraite, même si on devrait le retrouver à la section des anciens de la FDSEA, où il souhaite adhérer. « Mais sans fonction car je compte bien prendre du temps pour moi, prendre du recul et surtout passer du temps avec ma femme, mes enfants et mes petits enfants. Ma femme ne m'a pas vu pendant dix ans avec mes responsabilités, je pense que je lui dois quelques voyages de retard », sourit-il pour conclure.