Apiculture
Un miel français qui ne trouve plus preneur

Berty Robert
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Les apiculteurs professionnels français sont confrontés à des difficultés croissantes pour écouler leur miel. En cause : une forte production nationale et un recours excessif aux miels d’importation, ce qui menace, à terme, la tenue des prix. La situation souligne aussi le besoin d’évolution du cadre réglementaire dans lequel s’exerce cette profession. Un couple d’apiculteurs côte-d’oriens apporte son témoignage.

Un miel français qui ne trouve plus preneur
Pour Elodie Carquille et Alexandre Gerbron la situation actuelle de mévente des miels français ne doit pas durer trop longtemps, sous peine de déboucher sur un effondrement des prix et une mise en péril des exploitations professionnelles du secteur.

La « machine » du miel français connaît des ratés inédits depuis plusieurs mois. Les professionnels du secteur tirent l’alarme, confrontés à de grosses difficultés d’écoulement de leur production. En Côte-d’Or, Élodie Carquille et Alexandre Gerbron témoignent de cette situation bien réelle. Ils ont fondé le Gaec des Ruchers, à Quincy-le-Vicomte, dans l’ouest du département, en 2021, lorsqu’Élodie est devenue l’associée d’Alexandre, son mari. Lui-même s’était lancé dans l’exploitation apicole en 2016. Cette évolution a permis à l’exploitation de prendre une autre dimension avec de la mécanisation, l’embauche d’un saisonnier et 600 ruches en production. « Jusqu’à présent, explique Alexandre Gerbron, nous parvenions à écouler notre production à des prix très corrects, rémunérateurs ». Cette production, de plusieurs dizaines de tonnes en 2023, leur reste sur les bras… La première raison, expliquent-ils, se trouve dans les grosses importations de miel et de sirops asiatiques et des pays de l’Est. « Il y a des miels importés qui sont frauduleux, poursuit l’apiculteur côte-d’orien, réalisés à partir de mélanges de sirops ou d’assemblages de miels provenant de différents pays qui ont des coûts de main-d’œuvre beaucoup plus bas que les nôtres. Résultat : on a aujourd’hui du miel qui entre en Europe à moins de 2 euros du kg. Je n’avais jamais eu de difficultés à vendre mon miel. Jusqu’à présent, on avait même plutôt du mal à faire face à la demande ».

Printemps anormal

Alexandre Gerbron a senti que le vent tournait au printemps dernier : le commerce ne répondait pas comme d’habitude, les contacts se faisaient rares. Le Gaec distribue son miel par trois débouchés : les marchés de proximité (Montbard et Semur-en-Auxois), la vente en Grandes et moyennes surfaces (GMS) et la vente en fûts pour des grossistes. C’est sur celle-ci que la crise se fait le plus sentir. Les grossistes se sont tournés vers ces miels d’assemblage, parfois d’origine douteuse, mais au prix très bas. « Nos ventes sont diversifiées avec ces trois canaux, souligne Alexandre Gerbron, et la situation est déjà préoccupante pour nous, mais je pense à nos collègues qui ne vendent qu’en gros. Je ne sais pas comment ils vont s’en sortir… » La vente en GMS donne aussi des signes de faiblesse en raison de l’inflation. Pour autant, Alexandre Gerbron reconnaît que les importations ne sont pas l’unique raison du marasme actuel. La situation trouve aussi son origine dans le niveau de production national. En 2020, l’apiculture française a fait une année correcte, suivie, en 2021, par une production catastrophique (cette année-là, le Gaec des Ruchers a vu ses rendements divisés par 10 !), mais en 2022 et 2023 la production a affiché des niveaux élevés. Le problème c’est que, face à l’irrégularité des quantités produites, les conditionneurs ont acheté du miel français en 2022 et ont aussi fait des importations pour remplir leurs frigos, en se disant qu’ainsi ils se couvriraient si 2023 était une mauvaise année… « ça n’a pas été le cas, explique Alexandre Gerbron, et nous nous retrouvons aujourd’hui assis sur des dizaines de tonnes de miel… »

Crainte d’une baisse des prix

Face à la situation actuelle de mévente, au Gaec des Ruchers on a fait le choix de réduire la voilure préventivement : l’exploitation ne recrutera pas de saisonnier cette année. Des investissements prévus vont être mis en attente et une diminution du cheptel est même envisagée. La crainte d’Élodie et Alexandre, à brève échéance, est celle d’une baisse des prix, une dévalorisation favorisée par le besoin d’écluser les stocks. « J’ai du mal à croire que la consommation de miel baisse, insiste Alexandre Gerbron, je pense plutôt que les consommateurs se tournent vers des miels plus industriels et moins chers. Il faudrait, au sein de l’Europe, instituer des prix planchers sur les miels d’importation et mieux contrôler les miels qui entrent sur notre marché, afin de voir si ça en est vraiment ». Élodie et Alexandre veulent rester optimistes malgré tout, pour une raison simple : l’amour qu’ils portent à leur métier. Ils sont reconnaissants des efforts produits par certaines enseignes de grande distribution qui mettent en avant les miels locaux, ou des restaurateurs de la région. « Il y a une volonté de soutenir les miels locaux mais la situation qu’on connaît aujourd’hui oblige à faire plus et ce n’est pas toujours possible… » Petite lueur d’espoir pourtant : mi-décembre de nouvelles règles pour l’étiquetage du miel ont été adoptées. Le texte prévoit que le pays où le miel a été récolté doit figurer sur l’étiquette. Si le miel utilisé est originaire de plusieurs pays, les députés souhaitent que les pays d’origine soient indiqués sur l’étiquette par ordre décroissant en fonction de la proportion qu’ils représentent dans le produit final. Selon la députée européenne française (LR-PPE) Anne Sander : « ce vote mettra fin à la duperie qui consiste à faire croire que des miels sont des productions européennes alors qu’elles viennent de Chine ou de Turquie, concurrençant injustement l’apiculture européenne ».

Faire une différence claire sur les statuts auprès des consommateurs

Les difficultés actuelles d’écoulement de miel français trouvent aussi, pour Alexandre Gerbron, leur origine dans un nombre d’apiculteurs en croissance continue parmi lesquels beaucoup d’amateurs, ce qui pose la question du statut que l’on met derrière le terme d’apiculteurs. Des professionnels tels qu’Élodie et Alexandre ont du mal à faire comprendre leurs spécificités au grand public qui ne fait pas de différence avec une pratique amateur de l’apiculture. « Entre un jardinier et un maraîcher, on fait bien la différence, souligne Alexandre Gerbron : il y en a un qui fait cela pour son plaisir et l’autre dont c’est le métier. Le jardinier amateur, on ne trouve pas ses produits sur les marchés ou dans les épiceries, alors que c’est le cas pour des miels réalisés par des gens dont c’est simplement le hobby ». « C’est pour ça qu’il est important, pour nous, de faire deux marchés par semaine, ajoute Élodie Carquille. Cela nous permet de rencontrer les clients, de répondre à leurs questions. Un apiculteur professionnel, pour assumer ses charges annuelles, doit avoir au moins 200 ruches. Lorsqu’on entend des personnes qui en ont 20 ou 30 se présenter comme apiculteur professionnel, ça nous fait bondir ! » Ce flou, dans la tête des consommateurs, participe aussi à la crise actuelle. Pour autant, le couple n’a rien contre l’apiculture amateur : « il y a de la place pour tout le monde : 70 % du miel consommé en France est importé, c’est bien la preuve que la production nationale à elle seule ne satisfait pas les besoins du marché intérieur. Mais nous devrions être soumis au même régime réglementaire et ce n’est pas le cas, notamment quant aux obligations en termes de normes sanitaires. Il y a aussi les différences sur les cotisations MSA ou la TVA. Au bout du compte elles influent sur les coûts de production. Pour l’amateur, le prix de vente de son pot de miel, c’est son argent de poche. Pour nous, c’est ce qui permet de payer nos charges, les salaires, les investissements… ».