Rosine Mallet, à Beurey-Bauguay
Une complémentarité à la vente directe
Agricultrice, avec son mari, sur une exploitation en polyculture-élevage de l’Auxois, elle livre sa viande dans plusieurs collèges de l’ouest de la Côte-d’Or. Un débouché qui se conjugue bien avec l’orientation « vente directe » prise par la ferme depuis plusieurs années.
540 saucisses à livrer aux cuisines du collège André Lallemand de Pouilly-en-Auxois. Un jour comme un autre pour Rosine Mallet. L’expression d’un quotidien agricole pas si banal que ça pourtant. En ce début du mois de décembre, cette livraison fait de cette habitante du village de Beurey-Bauguay, et de Sylvain, son mari, une « espèce » d’agriculteurs un peu à part : ceux pour qui une proportion non négligeable des débouchés passe par l’approvisionnement de la restauration collective locale. En dehors du collège de Pouilly, la Ferme de Sous la Velle fournit également les cuisines des collèges d’Arnay-le-Duc, Sombernon, Vitteaux et Liernais, et la MFR Sud Auxois Morvan, soit un rayon d’environ 30 km autour de l’exploitation. Pour cet élevage de vaches charolaises, le circuit court est une réalité quotidienne. Une volonté qui était claire dès l’installation de Sylvain Mallet, en 2017 et qui n’a cessé de s’affirmer depuis, y compris lorsque Rosine s’est associée à son mari, en 2022, après une carrière d’enseignante.
Équilibre carcasse
Ici, tous les animaux gras sont commercialisés en vente directe, avec un point de vente à la ferme, mais aussi deux marchés par semaine (Saulieu et Marcilly-Ogny), et des commerces dijonnais. À cela s’ajoutent les restaurants de collèges. Approvisionner la restauration collective présente plusieurs avantages pour ces agriculteurs : c’est un secteur qui doit composer avec des budgets contraints. Ils achètent des bas morceaux qui sont, traditionnellement, plus difficiles à écouler en vente directe. « La demande porte beaucoup sur du sauté de bœuf, du bourguignon, du pot-au-feu, du steak haché et même des saucisses et merguez, précise Rosine Mallet. Ce qui est aussi très intéressant pour nous, c’est que les collèges fonctionnent de septembre à juin et l’été, nous avons une grosse demande de la part de touristes présents en grand nombre, notamment dans le Morvan tout proche. De ce fait, nous n’avons aucun mal à écouler des « arrières » puisque nous faisons aussi de la transformation en saucisses et merguez. Sur une année, la période d’activité des collèges et la période touristique s’équilibrent et assurent un niveau d’activité équivalent. Cela participe à l’équilibre carcasse ». Les bêtes sont abattues à Venarey-les-Laumes et la transformation est effectuée par le laboratoire Séléviandes, en Saône-et-Loire. Une garantie en termes sanitaires car, pour pouvoir fournir une collectivité, il faut disposer d’un agrément européen dans ce domaine. Pour Rosine et Sylvain, la porte d’entrée de l’approvisionnement de proximité des collèges, ce fut la plateforme numérique Agrilocal21 ainsi que l’accompagnement du service Développement local et Aménagement Territoire Diversification de la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or : « J’avais été contactée, poursuit Rosine Mallet, par la référente de la plateforme Agrilocal du Conseil départemental de Côte-d’Or. Nous nous étions rencontrées et elle m’avait expliqué la démarche. À ce moment-là, nous développions une gamme de steaks hachés surgelés à partir de nos vaches de réforme et c’est par ce produit que j’ai commencé sur Agrilocal ». Pour les cantines, le steak surgelé est un produit facile à travailler, sûr en termes sanitaires, et que l’on peut conserver longtemps. L’agricultrice a participé au salon Agrilocal21, organisé à Talant, près de Dijon. Là, elle a pu rencontrer des chefs cuisiniers et des gestionnaires de collèges. C’est ainsi qu’elle a pu nouer des partenariats.
Des appels d’offres qui donnent de la visibilité
Agrilocal21 fonctionne selon le principe d’appels d’offres qui y sont déposés plusieurs fois par an par les responsables de restaurations collectives. Les producteurs prennent connaissance des appels d’offres, ils y répondent, proposent un tarif, informent sur les quantités de produit dont ils disposent. « En général, détaille Rosine Mallet, les cuisiniers dimensionnent leurs appels d’offres en fonction des grandes périodes de l’année : de la rentrée jusqu’à la Toussaint, puis de la Toussaint à Noël, et ainsi de suite… C’est un fonctionnement intéressant parce que nous pouvons « caler » nos bêtes en face et cela nous donne de la visibilité. Il y a aussi un autre avantage : nous sommes sûrs d’être payés ». À la Ferme de Sous la Velle, on estime que le débouché de la restauration collective permet d’écouler de 5 à 6 bêtes par an. Dans une relation commerciale de ce type, tout n’est pas rose évidemment. L’agriculteur doit notamment prendre en compte ses coûts logistiques pour préserver une rentabilité. Cela a, par exemple, conduit Rosine Mallet à réduire et adapter son périmètre de livraison. Si les appels d’offres offrent une souplesse de fonctionnement ils ont aussi le défaut de ne pas permettre un partenariat avec un cuisinier sur du long terme « néanmoins, précise notre agricultrice, les choses s’améliorent sur ce point puisque les appels d’offres sont valables pour trois mois, ce qui apporte un peu plus de visibilité ». Il y a aussi des appels d’offres auxquels Rosine Mallet ne peut pas répondre parce qu’elle ne dispose pas toujours des produits attendus en quantités suffisantes. Dans un tel cas de figure, la possibilité de se grouper à plusieurs producteurs, pour répondre à une demande pourrait être intéressante mais cela pose des problèmes d’organisation, notamment pour l’abattage des bêtes. Il y a peut-être des pistes à creuser de ce côté. « Il faut aussi parvenir à concilier l’univers des cuisines collectives, avec des attentes très normées et standardisées pour répondre vite au plus grand nombre, et des producteurs aux fonctionnements plus artisanaux. C’est possible, mais cela réclame du temps pour instaurer des habitudes de travail communes. Il est important de construire une relation de confiance, durable, avec les cuisiniers de ces établissements ».
Mieux se structurer ?
De leur côté les cuisiniers de collèges sont aussi capables de faire preuve de souplesse lorsque le producteur est soumis à des contraintes de créneaux de livraison. « Ils commencent à comprendre nos problématiques, reconnaît Rosine Mallet, mais il est très important d’échanger régulièrement avec eux. Nous devons aussi prendre en compte leurs contraintes et obligations ». La ferme de Sous la Velle semble être parvenue à instaurer un fonctionnement vertueux et profitable à chacune des parties, en matière d’approvisionnement local. Mais tout peut encore être amélioré : « je pense qu’il faut aller vers plus de structuration entre producteurs engagés dans les circuits courts, afin d’être en mesure de répondre à des appels d’offres plus conséquents de la part des collèges. Personnellement, j’encourage d’autres éleveurs à aller sur Agrilocal21 pour trouver des débouchés ». Il faut aussi, à ses yeux, combattre certains a priori tels que celui qui voudrait qu’approvisionner les restaurations collectives soit synonyme de prix au rabais : « il faut savoir que lorsqu’un cuisinier s’engage à faire un repas 100 % Côte-d’Or, il dispose d’un soutien budgétaire du Conseil départemental qui permet d’aller sur un prix de repas supérieur à ce qui est normalement appliqué. D’autre part, lorsqu’il candidate à un appel d’offres le producteur propose son prix. Évidemment, il peut ne pas être retenu mais cela laisse quand même une certaine marge pour se positionner au mieux… »
Parler de ses produits aux collégiens
L’engagement dans l’approvisionnement de la restauration collective peut aussi se traduire par la participation des agriculteurs à des évènements organisés par les responsables de cuisines. Dans certains collèges, des animations autour des produits sont proposées. En 2022, Rosine Mallet avait ainsi participé à un événement de ce type au collège de Pouilly-en-Auxois, en compagnie de deux autres producteurs. « Nous avons pu faire déguster nos productions aux élèves, échanger avec eux, parler de nos métiers, du lien qu’ils entretiennent avec l’alimentation… Nous étions étonnés, parce qu’on entend souvent les élèves se plaindre de ce qu’ils mangent à la cantine, alors que là, pas du tout. L’équipe du collège de Pouilly est vraiment axée sur le local, le fait maison, on a appris beaucoup de choses à leur contact et je me suis rendu compte que, globalement, les élèves étaient plutôt sensibles à ce qu’ils avaient dans leur assiette… »
L'enjeu de la logistique
En matière d’approvisionnement local, la logistique est un point-clé qui, s’il est négligé, peut remettre en question tout l’équilibre économique de l’engagement d’un agriculteur. Sur ces questions, il est intéressant de réfléchir à plusieurs : Rosine Mallet fait partie d’un collectif (Les Producteurs de la vallée du Serein), accompagné par la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or, qui réfléchit et fait émerger des solutions. Il a participé, récemment, aux Assises départementales de l’Alimentation, afin de témoigner du travail qu’il mène dans ce domaine. L’accompagnement de la Chambre d’agriculture et du Conseil départemental leur a permis de prendre la mesure de leurs coûts logistiques, grâce au logiciel Logicoût (accessible gratuitement sur internet). « Grâce à ça, explique Rosine Mallet, je sais qu’une tournée de livraison sur Dijon me coûte 200 euros. Disposer de ce type d’informations nous a permis de mettre des choses en place, telles que des livraisons groupées, et on travaille aussi avec la Poste, pour d’éventuelles solutions ».