Point de vue
Une interrogation sur les vertus du semis direct
Vincent Chaplot, agriculteur en Côte-d’Or et directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), aborde le thème des semis directs et s’interroge sur leur efficacité en fonction de différents critères.
Il est largement admis que perturber le sol par le labour est la principale cause de la perte historique de carbone organique (CO) des sols agricoles et qu’une séquestration substantielle de CO peut être obtenue en passant du labour à des méthodes moins intensives qui incluent le semis direct et les Techniques culturales simplifiées (TCS). Ceci est basé sur des essais au champ où les changements ont été estimés par l’échantillonnage du sol. Cependant, le protocole d’échantillonnage biaise largement les résultats. Dans presque tous les cas les sols n’ont été échantillonnés qu’à une profondeur de 30 cm ou moins, alors que les racines des cultures s’étendent souvent beaucoup plus profondément. Le chercheur de l’USDA John Baker a été le premier à reprendre dès 2007 l’ensemble des études scientifiques mondiales. Il a révélé que dans les quelques études où l’échantillonnage s’étend jusqu’à 1 m, TCS et semis direct n’ont montré aucune augmentation de quantité de CO mais plutôt une redistribution avec des concentrations plus élevées que sous labour près de la surface et des concentrations plus faibles dans les couches plus profondes.
Affaire de densité
Un deuxième biais dans les interprétations est que celles-ci sont faites sur la base de la teneur en carbone alors que c’est le stock (stock = masse = concentration × densité du sol) qu’il faut considérer et que très souvent le passage au semis direct augmente la teneur en carbone mais baisse la densité du sol, ce qui débouche sur des stocks identiques au labour. Enfin, le dernier biais est que lorsque le sol se compacte comme après labour, sa surface se déplace vers le bas. Si la même profondeur d’échantillonnage est considérée que pour le semis direct, des agrégats de sol des horizons profonds appauvris en carbone sont inclus, ce qui génère une surestimation des stocks de carbone sous semis direct. Ceci démontre que lorsque l’on étudie l’impact d’une pratique agricole, d’une rotation ou d’un itinéraire technique, on ne peut se borner à l’horizon de surface. Parfois il nous faut même analyser les roches sous-jacentes pour en connaître la disponibilité en eau et en nutriments. Ces résultats ne doivent pas être interprétés comme une défense du labour car il existe de nombreuses bonnes raisons de réduire le travail du sol. Celles-ci sont économiques car le semis direct réduit la consommation de fioul. Ensuite, une teneur plus élevée en CO dans l’horizon de surface protège les sols de l’érosion, mais pas aux plus fortes intensités. Elle pourrait aussi faciliter la préparation du lit de semence, le réchauffement du sol et une plus grande proximité des nutriments pour les jeunes pousses.
Explorer d’autres pistes
Par contre, moins de carbone en profondeur pourrait accentuer la prise en masse, diminuer la vie du sol et limiter la valorisation des horizons profonds par les plantes. De tels changements dans la redistribution du carbone dans le sol (confirmés jusqu’à ce jour y compris pour le semis direct sous couvert) peuvent être dus à l’impact du travail du sol sur les conditions chimiques, biologiques et physiques du sol qui affectent l’enracinement et la distribution des résidus de récolte, ce qu’il nous faut mieux comprendre. Ensuite, le fait que le travail du sol ou la présence de sols nus une partie de l’année ne soient pas les causes de la baisse de la teneur en CO des sols agricoles nous oblige à chercher d’autres raisons si l’on désire stoker plus de CO pour une agriculture durable. Enfin, chacun peut continuer à croire et à divulguer que le semis direct et les TCS augmentent les stocks de carbone organique du sol. Le risque est non seulement de ne pas répondre à l’objectif premier de stockage de CO mais aussi une perte de crédibilité. Cette dernière peut nous faire perdre ce qui reste de confiance de la société qui demain nous demandera des comptes, et rendra plus difficile l’adoption de pratiques de gestion des terres qui seraient réellement stockantes.