Prédation
Les éleveurs excédés réclament une commission de recours
Mardi 3 décembre, des éleveurs ovins sont venus déposer des cadavres de moutons prédatés devant les portes de la DDT de Côte-d'Or à Dijon. Plusieurs élevages ont subi des attaques ses derniers jours et les professionnels du secteur ne supportent plus le silence de l'administration face à leur requête pour obtenir une commission de recours.

Mardi 3 décembre, alors que des éleveurs ovins de Côte-d'Or étaient en train de décharger des cadavres de moutons de l'arrière d'un pick-up sur les marches de la DDT, à Dijon, un passant, interloqué par la scène, a demandé ce qui se passait. Les éleveurs lui ont expliqué que ces animaux avaient, une nouvelle fois, été victimes d'attaques survenues en fin de semaine dernière, et pour lesquelles le loup est fortement soupçonné. « Bah, vous n'avez pas de fusil ? » a rétorqué le passant. Une question qui résumait à elle seule l'incompréhension et la méconnaissance d'une partie de la société face aux situations de prédation auxquelles sont confrontés les éleveurs. Il ne suffit pas d'avoir un fusil, il faut aussi un cadre légal pour protéger les troupeaux et ce dernier paraît aujourd'hui largement inadapté. C'est le message que les éleveurs réunis ce 3 décembre voulaient faire passer, à travers cette action « coup de poing ».
Plus de vingt animaux touchés
« La DDT nous laisse sans réponse face à de nombreuses questions, expliquait Julien Pané, éleveur ovin et président du Syndicat d'élevage ovin de Côte-d'Or. Cinq élevages sont concernés par ces dernières attaques : on a eu plus de vingt animaux touchés en cinq jours, sur les secteurs de Poiseul, Vitteaux, Posanges… Nous exprimons un ras-le-bol alors que nous attendons des réponses de l'administration depuis deux mois sur le fait que soit mise en place une commission de recours, qui est prévue dans le droit des éleveurs, afin que nous ayons le droit de nous défendre lorsque nous sommes en désaccord avec une décision administrative consécutive à une attaque que nous attribuons au loup. Cela ne nous est pas permis aujourd'hui. Nous avons aussi réclamé que le cas d'une éleveuse de Côte-d'Or soit requalifié et qu'elle puisse être indemnisée pour la perte de ses animaux. On se fiche de nous et de la filière ovine. Nous, lorsqu'on est convoqués en préfecture, on prend le temps de s'y rendre, d'aller dialoguer, mais finalement, nous n'avons aucun retour. » Le dépôt des cadavres de moutons devant la DDT a évidemment une portée symbolique forte : « Nous leur laissons la joie d'appeler l'équarrissage, poursuivait Julien Pané, et nous voulons que les gens qui statuent sur les décisions de loup non écarté en cas d'attaques, qui sont présents dans les bureaux de la DDT, les voient. D'habitude, ils statuent sans se déplacer et sans venir voir les animaux. L'OFB dresse un constat, remplit une grille et des gens au-dessus d'eux, qui ne sont jamais sur le terrain, rendent une décision finale. Nous sommes excédés par cela. »
« Plus rien à perdre »
Une attaque de cette ampleur avait déjà été observée sur la Côte-d'Or en 2023. « Ça revient par vagues et on voit que les choses n'évoluent pas. On a un problème au niveau national : le quota d'abattage de loups autorisé sur 2024 est bientôt atteint (201 spécimens sur 209 autorisés au plan national), et nous n'aurons bientôt plus le droit à des tirs de défense. On en est à laisser nos brebis se faire « bouffer » dans les prés, et ce n'est pas acceptable, alors que dans le même temps, on n'est pas capable d'estimer la population précise de loups. Les éleveurs n'ont plus rien à perdre, ils vont se mettre dans l'illégalité, le problème du loup, on va le résoudre… Entre ça et la FCO, c'est le summum. S'il faut déposer les cadavres de moutons sous le sapin, au centre de Dijon, on le fera ! C'est notre boulot qui est en jeu, on doit trouver des solutions pérennes. On n'accepte pas non plus les périmètres de cerclage qui sont définis pour les niveaux d'indemnisation ou d'aide prévus en cas d'attaque. C'est le seul moyen pour que les agriculteurs qui veulent protéger leurs troupeaux puissent prétendre à des financements. Nous voulons des cerclages géographiques cohérents. » Antoine Duthu, éleveur ovin et président des jeunes agriculteurs (JA) de Côte-d'Or, également présent sur place, ajoutait : « l'administration nous renvoie du mépris par rapport à tout ce qui se passe. On a le sentiment d'une rupture que l'on déplore parce que jusqu'à présent, il y avait plutôt de la communication entre nous. La balle est dans le camp de l'administration, c'est elle qui a les réponses. Ce qui se passe chez nous se passe aussi sans doute ailleurs en France, il faut que nos demandes remontent au niveau national. La Côte-d'Or est un territoire où l'élevage ovin se porte plutôt bien, mais si on laisse les choses se faire comme actuellement, on va vers le déclin de cette forme d'élevage. Il faut que les louvetiers soient dehors à chaque fois qu'il y a une attaque. Sinon, à terme, ça va être le « far-west » dans la campagne. Il y a des gens qui sont au bord du « pétage de câble. »
Proche d'un point de rupture
Face à l'expression de cette colère, Florence Laubier, la Directrice départementale des territoires (DDT) est venue discuter : « nous avons équipé les louvetiers pour être justement plus efficaces dans ces situations et pour éviter que des choses se passent mal ou dans l'illégalité. L'objectif c'est de vous aider dans cette situation qui est violente pour vous. On met en place les moyens de protection qui peuvent vous permettre de bénéficier d'un tir de défense. On essaye, quand c'est nécessaire, de déclencher le tir très vite. Mais on doit faire les choses dans la légalité. Concernant la commission de recours, le Préfet est d'accord sur le principe de son installation. » Il faudrait que celle-ci intervienne rapidement parce qu'on semble proche d'un vrai point de rupture sur cette question de la prédation.
Le statut du loup rétrogradé
La Convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, a approuvé le 3 décembre un déclassement du statut de protection du loup, qui va passer d'espèce « strictement protégée » (annexe II) à « protégée» (annexe III). Les 49 membres, réunis à Strasbourg, ont approuvé une proposition en ce sens portée par l'UE. La décision a été publiée le 6 décembre et, si moins d'un tiers des parties à la Convention s’y oppose, le changement de statut entrera en vigueur le 7 mars 2025 dans les pays qui n'ont pas formulé d'objections. Après cette date, l'UE pourra alors adapter les annexes correspondantes de la directive Habitats. « La Commission proposera une modification législative ciblée à cet effet, qui devra être adoptée par le Parlement européen et le Conseil », assure Bruxelles. « Ce changement donnera aux États membres une flexibilité supplémentaire dans la gestion de leurs populations locales de loups. Dans le même temps, comme le loup restera une espèce protégée, les mesures de conservation et de gestion des États membres devront toujours atteindre et maintenir un statut de conservation favorable », précise la Commission européenne. Ses estimations montrent que la population de loups dans l’UE a presque doublé en dix ans (11 193 en 2012 contre 20 300 en 2023). Selon les dernières données disponibles, les loups tueraient au moins 65 500 têtes de bétail chaque année dans l’UE.