Commerce de bestiaux
Les négociants bourguignons s'adaptent

Marc Labille
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Réunis en assemblée générale à Chérizet, près de Cluny, en Saône-et-Loire, les commerçants en bestiaux de Bourgogne ont passé en revue leurs sujets d’inquiétude. Face à la décapitalisation et à une hausse des charges qui les touchent aussi, les négociants s’adaptent et défendent leur vision.

Les négociants bourguignons s'adaptent
C'est le Domaine des Trois Lacs, dans le petit village de Cherizet, qui a accueilli cette assemblée générale.

Le Syndicat des commerçants en bestiaux de Bourgogne (SCBB) a tenu son assemblée générale à Chérizet, en Saône-et-Loire. Co-présidé par le Saône-et-loirien Alexandre Berthet, et Denis Tarteret, de l’Yonne, ce syndicat compte 27 entreprises adhérentes. Un tiers de ces entreprises de négoce exportent des animaux hors de France. Le secteur vit une restructuration importante en ce moment. En un an seulement, le nombre de commerçants adhérents à la SCBB est passé de 32 à 27, principalement du fait d’achat, fusion ou regroupement. « Face à l’érosion du bétail, nous avons besoin de compresser les frais pour rester compétitifs », commente Alexandre Berthet. Le commerce privé représente deux ventes sur trois à l’échelle nationale et 75 % de l’activité export. « Ce sont 800 entreprises qui totalisent 33 000 emplois directs », faisait valoir Sylvain Bleubar, directeur de la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB). Importantes et dynamiques, ces entreprises n’en demeurent pas moins « liées au sort de l’élevage », rappelait le président de la Chambre d’agriculture régionale, Christian Decerle. Dans sa note de conjoncture, le directeur national a rappelé que la France avait perdu 1 million de vaches en 7 ans dont 564 000 vaches allaitantes. Si la décapitalisation ralentit, elle continue quand même, informait-il, ajoutant qu’avec un éleveur sur deux âgé de plus de 50 ans, cette érosion n’était pas terminée. Autre motif d’inquiétude : « pour la première fois depuis 15 ans, la consommation de steak haché – qui représente 75 % du débouché de la viande bovine - est en baisse », alertait Sylvain Bleubar. Acteurs majeurs de la filière, les négociants fédérés au sein de leur syndicat défendent leur vision du commerce, avec cette « conviction qu’on sera encore là demain, malgré le fait que tout change », estimait Alexandre Berthet.

Épineuse mise en place d’EGAlim

Acheteurs des animaux fournis par les éleveurs, les commerçants en bestiaux ne cachent pas leurs interrogations quant à l’application de la loi EGAlim. « Nous sommes pour une rémunération des éleveurs, mais nous sommes contre une contractualisation obligatoire », synthétisait d’emblée Sylvain Bleubar. Difficile, la mise en place des engagements EGAlim n’est pas sans attiser les divergences entre les acteurs de la filière. La FFCB sait défendre ses arguments auprès de la profession et des pouvoirs publics. Elle fait notamment valoir « la liberté à laquelle sont attachés les éleveurs ; leur désir de faire jouer la concurrence ; leur attachement à rester libre de leurs ventes et de leurs prix ; leur crainte des contraintes administratives supplémentaires… », énumérait le directeur. Les négociants font aussi valoir la grande diversité de la filière avec une multitude de produits et de débouchés qui compliquent, selon eux, le déploiement des contrats. Pour Sylvain Bleubar, il faut préserver une « souplesse de fonctionnement, en conservant le volontariat dans la démarche, sans éluder un gros travail d’amélioration de la rentabilité dans la filière ». Autre gros dossier des négociants et de leurs syndicats : le sanitaire. À Chérizet, il a été question de la Maladie hémorragique épizootique (MHE), qui touche pour l’instant le quart sud-ouest de la France, mais dont le zonage coupe la France en deux jusque dans le département de l’Allier. À l’approche de l’été, la circulation virale va « forcément » reprendre avec le risque de voir de nouveaux foyers gagner du terrain plus au nord, craint-on. Pour la FFCB, « cela basculera forcément toute la France en zone réglementée MHE ». Sur le sanitaire, la fédération veille à ce que les règles soient respectées sur le terrain. Étant donné que le réchauffement climatique ne peut que favoriser la circulation des vecteurs, la FFCB aimerait une évolution de la loi de santé animale pour sortir des zonages, en systématisant la vaccination.

Durcissement des règles de transport

Les négociants s’inquiètent également de l’évolution de la réglementation en matière de transport des animaux. Sous la pression du bien-être animal et des mouvements animalistes, les règles de transports (durée, densité, âges des vaches pleines…) sont en passe de se durcir. Sur ce sujet, la FFCB est suivie par toutes les familles de l’interprofession Interbev et un courrier commun a été remis aux autorités. Prenant la parole au nom des éleveurs attachés au commerce privé, le président d’Elvea 71-58, Jean-Michel Morel faisait part des bonnes relations qui régnaient entre éleveurs et acheteurs, sans cacher pour autant les âpres discussions qui persistent au niveau des EGAlim. Le président d’Elvea annonçait le projet de son association de « refaire le tour des entreprises afin de voir ce qu’elles attendent ». Favorable à la mise en place des contrats, Jean-Michel Morel rappelait aux commerçants que s’ils ont des opportunités, Elvea est en capacité de les aider à les mettre en place. Il évoquait aussi les opportunités d’animaux préparés (vaccinés) de type B2E, Broutards d’excellence Elvéa. Des débouchés à honorer chez des engraisseurs pour lesquels, Elvea 71-58 se tient à l’écoute des commerçants en bestiaux.

Invité de l’assemblée générale du SCBB, le président de la Chambre régionale d’agriculture, Christian Decerle, livrait sa vision d’un monde de l’élevage en pleine mutation. Il se remémorait 1992 et sa réforme de la Pac qui a fait « basculer d’un système d’organisation et de protection des marchés à une politique d’assistanat ». Trois décennies plus tard, le résultat est que « les troupeaux allaitants ne savent absolument plus vivre sans soutien public. Et depuis 92, l’élevage n’a pas été épargné ». Jusqu’à l’écrasement administratif que l’on connaît aujourd’hui. « Il y a toujours des agriculteurs qui feront la course en tête. Mais le peloton s’étire », observait Christian Decerle. « Était-il raisonnable de maintenir le prix du kilo de viande payé à un niveau aussi bas ? En passant de 3€30 à 5€30, on a vu qu’on pouvait quand même s’approcher de la rémunération de l’éleveur sans provoquer un tremblement de terre ! ». Se félicitant que la remontée des cours ait pu « redonner le moral aux paysans », Christian Decerle demeurait inquiet pour l’avenir avec une tendance à la décapitalisation, un problème de renouvellement des générations… Trop de raretés (dans la viande) risquent de faire augmenter l’importation, laquelle finira par « donner le prix du marché intérieur », redoutait-il. Convaincu « qu’en dépit des performances de chacun, on ne peut pas résister avec une somme d’individualités », le président de la Chambre régionale d’agriculture appelait le monde professionnel à faire bloc face au politique, à l’administration… Une mobilisation collective pour peser, à nouveau, sur les échelons national et européen, de sorte que « soient conservés tous les dispositifs essentiels à l’activité de l’élevage ». Revenant à la filière et à la nécessité des lois EGAlim, Christian Decerle encourageait aussi à resserrer les rangs « face à des enseignes de grande distribution impitoyables ».