Timothée Dufour, juriste spécialisé dans la défense du monde agricole, était l'invité d'honneur au dernier bureau de la Chambre régionale d'agriculture organisé à Bretenière. Son intervention n'a laissé personne indifférent.
Les Français, dans leur intégralité, aiment-ils leur agriculture ? Pas certain, à entendre Timothée Dufour. Ce défenseur du monde rural, de plus en plus connu sur la scène médiatique, a fait part d’une explosion du nombre de contentieux autour des projets agricoles, que ces derniers soient au stade de la conception ou en phase d’exploitation. Les agriculteurs sont-ils prêts à affronter ces attaques incessantes, amenées à se multiplier encore plus dans un avenir très proche ? « Il y a beaucoup de moyens humains et financiers dans les associations environnementalistes qui sont face à nous », prévient l’intervenant, « tout est fait pour attaquer les autorisations d’urbanisme, contester la conformité des documents, la signature des permis… Les agriculteurs sont honnêtes avec eux-mêmes : ils font appel à des bureaux d’études pour être dans les clous, mais cela ne suffit pas toujours. Il y a des gens qui connaissent parfaitement les réglementations et toutes sortes de documentations. Il faut être en phase avec le Code de l’urbanisme, le Code de l’environnement, le Code forestier, le Code du patrimoine, le Code rural, sans parler de la loi sur l’eau, le Sdage, le SCoT, les cartes communales… C’est particulièrement complexe ». Si, il y a encore 10 ans, des personnes « physiques individuelles » étaient à l’origine de ces contentieux, aujourd’hui, ces derniers proviennent essentiellement de collectifs bien structurés, dont le siège social se trouve parfois à plus de 100 km des exploitations : « et je le redis : ces associations sont très bien armées dans tous les domaines. Sur le plan financier, il ne faut surtout pas sous-estimer les legs ou autres dons de personnes qui n’ont pas de successeurs et qui, par passion du monde animal, permettent à ces associations de fonctionner. Cela part pourtant de bons sentiments, mais derrière, il y a des conséquences que l’on n’imagine pas toujours ».
Que va-t-il se passer ?
Le jeune juriste, originaire d’une famille d’agriculteurs en Dordogne, invite la profession à réaliser une cartographie des contentieux déjà existants dans chaque région. « Cela vous donnera une idée de ce qui vous attend malheureusement demain, il faut préparer le terrain ». Une activité porcine suspendue à cause d’une accusation de maltraitance, un projet agrivoltaïque bloqué à cause de la présence de trois chauves-souris… de nombreux exemples de contentieux ont été cités par Timothée Dufour. « Nos opposants ont toujours des fantasmes : l’élevage représente une ferme usine, la méthanisation est vue comme une explosion. L’agrivoltaïsme, c’est la destruction d’espèces protégées… ». Des situations paraissant « totalement disproportionnées » peuvent parfois être vécues, à l’image de ce nouvel exemple : « dans les Ardennes, un pisciculteur a été arrêté par 35 gendarmes et agents de l’OFB, arrivés dans sa cour de ferme un matin avec quinze voitures. Le producteur est sorti de chez lui menotté et sa garde à vue a duré 48 heures. Pour lutter contre les attaques de cormorans, il avait empoisonné des poissons. Au final, deux oiseaux d’autres espèces protégées ont été retrouvés morts. Le substitut du procureur lui a dit : “ mon cher monsieur, vous avez tué un être pur ”. La perception de l’Homme sur la question de l’environnement pose ici question… Nous sommes face à des personnes qui ont une fascination pour ce qui est au-dessus de l’étang, mais pas un mot sur les dégâts sur les poissons, tués ou blessés par les cormorans. C’est presque de la spiritualité… Le procès est programmé à la fin de l’année, l’accusé encourt trois ans de prison et 150 000 € d’amende ».
Se préparer, se défendre
La réglementation doit nécessairement évoluer, selon Timothée Dufour. « À ce titre, la loi d’orientation agricole, pourtant critiquée, va dans le bon sens car elle reconnaît l’agriculture comme intérêt général majeur, une hiérarchie est instaurée entre les différentes activités ». De nouvelles compétences doivent aussi émerger au sein de la profession. « De toute façon, un agriculteur ne peut plus être seul pour se défendre. Une réorganisation s’impose, il n’est pas trop tard pour le faire. Le syndicalisme a désormais vocation à faire du contentieux. Le meneur de projet doit s’assurer une sécurité financière et technique, mais aussi une sécurité juridique. Les Chambres d’agriculture, elles, ont tout intérêt à réviser leurs statuts pour avoir leur mot à dire. Chacun a sa place pour mieux protéger ce monde agricole. Je pense aussi à l’interprofession, car les enjeux de filière sont importants. Il y a également la responsabilité du législateur sur lequel nous devons continuer de faire pression pour limiter le droit aux recours et accélérer les procédures qui bloquent trop souvent et trop longtemps les projets en agriculture ».