Vignoble de la Nièvre
Retour sur une année catastrophique

Propos recueillis par Chloé Monget
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La grêle, le gel, la pluie… rien n'a épargné les exploitations depuis ce début d'année. Afin d'entrevoir les mois précédents et les conséquences que les conditions climatiques auront pour l'avenir, voici un tour d'horizon chez les viticulteurs du département de la Nièvre.

Retour sur une année catastrophique
Un exemple d'impact d'un grêlon sur le bois, chez Romain Desbrosses à Bel Air.

Romain Desbrosses, Domaine de Bel Air (Villiers-sur-Yonne) :

« En un mot : catastrophique. Tout a commencé en avril avec le gel puis les fortes pluies et pour finir un épisode de grêle mi-juillet où j'ai eu environ 90 % de dégâts sur le peu restant. À la suite de ces aléas, j'ai choisi de continuer les traitements car je voulais préserver mon bois pour 2025. D'ailleurs, la fréquence des traitements mildiou ou oïdium a doublé par rapport à l'an dernier (24 passages contre environ 12 l'an dernier). Comme je suis en bio, les solutions sont réduites. Malgré tout cela, j'ai eu de la chance car je n’ai pas été envahi par le mildiou avec ce suivi régulier. Ayant beaucoup de zones enherbées mes sols n'ont pas trop souffert des passages successifs, sauf à certains endroits car ils n'arrivaient pas à se ressuyer. Les conditions climatiques ne m'ont pas permis de labourer, ce qui n'est pas plus mal car au vu de la quantité de pluie, si je l'avais fait le terrain aurait glissé. Pour préserver mes sols du tassement et de l’érosion, je n'ai pas fait autant de labours que souhaité et quand cela était possible je ne pouvais pas car je devais passer le pulvérisateur ce qui pose aujourd'hui problème puisqu’il y a eu un développement conséquent d’herbes qui ne pouvait être fait qu’à la débroussailleuse. Face à toutes ces problématiques, j'ai décidé d'investir dans une tondeuse inter-rang afin de ne plus avoir ce problème de manque d'entretien. Je pense aussi au pâturage hivernal mais pour le moment je n'ai pas recherché d'éleveurs qui seraient intéressés pour mettre leurs moutons dans les vignes. On s'adapte mais cette année est une vraie perte de temps, surtout avec les traitements. Car ce temps passé à traiter n'est pas utilisé à autre chose ; c'était une boucle infernale entre traitement et pluie. Je voulais travailler davantage ma commercialisation, mais au vu de tous ces événements je n’ai guère pu m’en occuper, d'autant que les charges ont explosé entre les traitements supplémentaires et de l’entretien manuel qui aurait dû être mécanique, les vendanges ont été décalées d'environ deux semaines par rapport à d'habitude, le rendement est de d’environ 65 hectos au total (blanc et rouge) alors que normalement je devrais être plus proche des 400 hectos ou plus sur une année normale. Heureusement que j'ai du stock de mes deux précédentes années et une assurance récolte contractée depuis mon installation en 2022, cela me permettra je l’espère de joindre les deux bouts avec cette année de manque. Pour le millésime 2024, la maturité du raisin n’a pas été simple du fait de cette météo capricieuse. Aujourd'hui, je suis fatigué. Il est temps de tourner la page de cette année, et surtout qu'elle ne se répète pas ! ».


Loris Guyon, Domaine Guyon-Barillot (Pouilly-sur-Loire) :

« Je n'ai pas une grande expérience puisque je me suis installé l'an dernier, mais lorsque l'on parle aux anciens ils sont unanimes : c'est exceptionnel. En effet, cette année, on a eu beaucoup de pluie avec une grosse pression de mildiou et de coulure. Pour l'exemple, durant la semaine du 20 juin nous avons eu 80 mm d'eau, et ce en pleine fleur, ce qui explique les problématiques vécues ensuite. À mon sens, cet excès d'eau va apporter un appauvrissement des sols. De plus, les fenêtres étaient très courtes pour l’entretien des vignes et pour les traitements. Il fallait être très rigoureux pour ce calendrier. En 2023, 6 traitements avaient été faits, contre 10 cette année. Pour les labours, cela était compliqué de passer dans les vignes pour éviter de faire du mauvais travail et de tasser les sols. En parallèle pour les vendanges, comme les taux de sucre étaient bons, j'ai eu une dérogation de l'INAO pour débuter le 21 septembre (les bans de vendanges pour Pouilly-sur-Loire ayant été établis au 23 septembre). Ainsi, j'ai récolté les 21 et 22 puis 24 et 25 septembre, pour être arrêté le 26-27 au 28 septembre, pour reprendre et terminer le 29, 30 septembre. L'an dernier elles se sont déroulées du 17 septembre au 23 septembre environ. Outre ces vendanges en alternance, la récolte est divisée par deux, avec environ 30 hectos/ha. Si cela se répète, je devrais trouver des cuves plus petites. Pour cette année, j'avais aussi fait le choix de récolter 1,5 ha à la main afin de retrouver un vrai esprit de vendanges et passer un moment convivial avec la famille, les amis et les voisins. Et, force est de constater qu'à la main, même quand il pleut on passe ! En plus, j'ai atteint les 13 ° d'alcool sur plusieurs parcelles, avec de très beaux raisins, il était temps de les vendanger. Malgré tout, je ne peux pas me permettre de tout faire sous cette méthode pour le moment, car cela demande beaucoup d’organisation, mais l’objectif est d’en faire de plus en plus tous les ans. 2024 est un millésime froid, car les raisins ont été rentrés par 5 °C le matin. Ils ont donc besoin de temps pour se réchauffer. La fermentation est donc ralentie… il faut simplement prendre son temps. Ce travail de vinification est compliqué, surtout pour une première année, mais c'est vraiment un bel apprentissage, puisqu'il est difficile de faire pire que cette année. La nature donne ce qu'elle veut et on est obligé de s'adapter. 2024 n'a pas laissé de place pour le droit à l'erreur, et il en sera de même pour la vinification, car il faudra être très précis. Il y a un point de sensibilité qu'il faudra atteindre afin de rendre ce millésime grand. De ce fait, je pense réaliser des élevages plus longs. Malgré une petite année, je suis persuadé que nous aurons des vins surprenants, qui marqueront les esprits. Pour la suite, j'essayerai de faire des cuvées parcellaires pour révéler les terroirs, car même s'ils sont proches, ils sont très différents – ce qui est très intéressant à mettre en avant. Certes je ne ferais pas que cela, mais c'est une piste que je souhaite explorer… enfin si 2024 ne se répète pas ».

Guillaume de La Brosse, Domaine Bois Bourbon (Livry) :

« Les vendanges ont été décalées de près d'un mois par rapport à l'an dernier, avec un début au 23 septembre et une fin au 28. Les causes de ce décalage sont multiples : la pluie, le manque de maturité et de degré. La pluie a engendré une attaque de mildiou qui s'est installé sur la parcelle bio de 4 ha du domaine, surtout en chardonnay et moins en gamay. D'ailleurs, j'ai 1,5 ha qui fut complètement ravagé par le mildiou que je n'ai pas récolté. Cela étant, je pense que c'est un problème de porte-greffes qui semblent plus sensibles à cette pression. Pour le reste des parcelles, j'ai constaté du mildiou sur les feuilles mais pas sur les grappes. Pour les traitements, en Bio j'en ai fait 10 et en conventionnel 9, comme à l’accoutumée. J'ai récolté à 11,2 – 11,3 ° d'alcool, contre 13,5 l'an dernier. Même si la quantité n'est pas dingue, il y a de très beaux raisins sur des petites parcelles. La quantité est de 20 hectolitres/ha grand maximum cette année, soit moitié moins qu'en 2023. Cette année fut stressante car moi et mes associés ne voulions pas nous planter surtout pour un troisième millésime et aussi car rien ne pouvait se prévoir. Tout a été fait sur le moment et il fallait être très réactif. Cela a eu un impact sur l'organisation générale. D'ailleurs, afin de réagir le plus rapidement possible, le matériel va être modifié l'an prochain. Je vais adapter un pulvé sur une machine à vendanger. Et, pour l'autre tracteur, il sera dédié au travail du sol. Cela évitera de dételer et d'atteler pour partir, ce qui me fait perdre du temps. Je trouve que le millésime 2024 offre un bon équilibre pour l'acidité surtout pour les blancs, ce qui est plutôt sympathique. Nous n'avons pas beaucoup de volume, mais je pense que ce millésime sera quand même beau. Cela dit, pour la commercialisation, heureusement que nous avons encore du stock de 2023. Maintenant, j'espère que 2025 ne ressemblera pas à 2024 car outre les conditions climatiques compliquées, tout a augmenté : l'eau, l'électricité, les charges salariales, les intrants, etc. Pour 2025, je ne sais pas quoi espérer… à part un beau millésime ! ».